A quiet evening of dance

Chorégraphie : William Forsythe

Distribution : Brigel Gjoka, Jill Johnson, Christopher Roman, Parvaneh Scharafali, Riley Watts, Rauf “RubberLegz“ Yasit, Ander Zabala

A quiet evening of dance-ph.Bill Cooper

La danse – évolutive, inventive – traverse ce soir les époques et les styles avec la création de William Forsythe, donnée à l’Opéra Comédie de Montpellier à l’occasion du festival  Montpellier Danse.

A quiet evening of dance se déroule en 2 actes, l’un l’autre exacerbant leur contenu par eux-mêmes audacieux, épuré par l’absence de décor et de récit à animer.

La majorité des tableaux de l’acte I (prologue, catalogue, épilogue, dialogue – duo 215) se succède sur le plateau dans le silence, interrompu par quelques sons ou gazouillis d’oiseaux, accentuant la présence des danseurs par la perception de leur respiration. Sur une matrice académique, se greffe une infinie variété posturo-gestuelle « moderne » et « contemporaine ». Sur scène, tout prend un relief particulier et se décline, questionnant « en creux » le lien habituel à la musique avec en contrepoint la musicalité des corps dansants et leur extrême habileté. Duo, solo, trio, hommes et/ou femmes évoluent avec lenteur ou célérité ; on reconnaît un dégagé pointé parfait et quelques pas baroques ; on note un pied flex, des pliés rigoureux et des déhanchements osés, des tours et déboulés…

La grammaire classique et un vocabulaire actuel s’intriquent, initiant un style inédit qui, dans l’instant, est déjà l’objet d’autres lignes de force et d’expériences, d’équilibres décalés échappés de sa célèbre pièce In the middle somewhat elevated (1987). De divers points physiques en tension partent des accents dansés allant à la recherche de contact et d’appui, un clin d’œil à Trisha Brown et à Steve Paxton, figures majeures « modernes » du Judson Theater Group américain de la fin du 20ème siècle.

Le corps, lieu d’une architecture centrale, admet des prolongements et, dans une autre séquence, la mobilité périphérique se remarque, avant-bras et extrémités étant soulignés par le port de gants et de chaussures de couleur acidulée rouge, rose, violette.

Démarches sinueuses, contrôlées, sautillantes, précieuses ; postures nonchalantes, séductrices et provocantes, alanguies au sol ou redressées ; bras fixés en 2ème ou 3ème position ou animés d’ondulations ; rythme saccadé ou coulé… défilent, soutenus par l’introduction momentanée d’une partition simple de piano de Morton Feldman et de quelques claps des mains.

L’intérêt de cet acte I -peut-être trop aride ou d’allure mécanique pour certains spectateurs- est ce glissement permanent d’un geste dans l’autre, ces mimétismes en miroir initiant des mutations, ces poses raffinées muées en situations motrices insolites ; l’expressivité volontiers désaffectée intensifie la dimension cinétique.

Ces états corporels de déformation et de transformation chorégraphiques s’exercent dans une belle fluidité homogène et non dans une juxtaposition qui serait fastidieuse.

ph.Bill Cooper

Dans une interview, William Forsythe a souligné son attachement au ballet en tant que « sa langue maternelle » et son désir d’en proposer des « structurations alternatives » à partir de son support originel, historique, répertorié par les maitres à danser de Louis XIV, dont Pierre Beauchamp. La nomenclature académique, reconnue par l’Europe et toujours utilisée, assure la dominance française de cet art -et le rayonnement du roi à cette époque-, W. Forsythe le reconnaît et s’en amuse. Il ajoute qu’une pièce abstraite (ni décor, ni récit) n’est pas « vide » mais induit une autre lecture du spectaculaire.

Il évoque aussi l’autre influence, « essentielle » selon ses termes, du travail de Rudolf Laban* qui déconstruit le mouvement selon 4 composantes et approfondit leurs variations et combinaisons, dont on a une vision concrète dans cet acte I. Ne s’agissant pas de figer la technique dans des références préexistantes, vient l’acte II… qui reprend l’acte I. Autrement.  Toujours en T-shirt et pantalon, les artistes démontrent à nouveau l’étendue de cet art du ballet et l’ouverture à la contemporanéité en introduisant la danse hip hop**.

Le performer Rauf Yasit, qui a suivi un entrainement pendant 5 semaines au sein de la compagnie de Forsythe et a acquis les rudiments du ballet et perçu un certain façonnement du corps, se propulse sur scène. Au milieu d’un groupe moderne-contemporain, il exécute une séquence de break dance -dont on peut regretter la brièveté- avec la brillante démonstration du passage « classique » par la rotation au sol calée sur l’épaule.

L’action globale des danseurs, manifestement très hybride, s’est enrichie d’ébauches stylées du hip hop** qui croisent l’arabesque.

D’autre part, la musique du 18ème siècle de Jean-Philippe Rameau, tirée de la tragédie Hippolyte et Aricie, accompagne les formes chorégraphiques de l’acte I et le parcours de la « belle danse » à la « danse urbaine ». On apprécie alors la coloration nuancée émotionnelle que la musique suscite, la pertinence de son association à la danse et la « fabrication » complexe de leur amalgame. Une joyeuse bande multi-couleur – multi-style envahit la scène et conclut cette pièce « d’un soir, tranquille » qui enchante le public, ponctuée par le salut de William Forsythe.

Montpellier, Opéra Comédie, 1er Juillet 2019

Jocelyne Vaysse

* Rudolph Laban (1879-1958), danseur moderne et chorégraphe d’origine austro-hongroise, invente la notation codée des parties mobiles du corps dansant dite « cinétographie » ou « labanotation » en 1928.

Fuyant l’Allemagne nazie à Londres, il conçoit en 1950, après observation ergonomique de gestes ouvriers, le système d’analyse dynamique du mouvement dit Effort-Shape ou « labananalyse », en relation avec des traits de caractère. Les 4 composantes fondamentales du mouvement (poids gravitaire, spatialité, temporalité, flux énergétique) s’écrivent sur un diagramme en croix.

** Le « hip hop », issu de la street dance (danse de rue) pratiquée initialement par des communautés afro- et latino-américaines défavorisées de New York (décennie 60), connaît aujourd’hui des figures « debout / au sol », remarquables par l’absence d’un savoir « savant » préalable : pop robotique, voging ondulant, flexing désarticulé, moonwalk glissé, smurf debout, breakdance au sol…

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