Appel/Éveil au sommet

Chorégraphie : Andrew Skeels

Musiques : Isabelle Panneton

Andew Skeels-ph.André Chevrier

Le Festival des Arts de Saint-Sauveur continue de nous accompagner dans cet été artistiquement insolite en nous proposant la huitième création, Appel/Éveil au sommet dans le cadre d’une Solitude Partagée. Cette fois, elle est le résultat de la collaboration entre le chorégraphe/danseur Andrew Skeels et la compositrice Isabelle Panneton, autrice d’une partition pour trompette interprétée par Stéphane Baulac.

 Le parcours d’Andrew Skeels est éclectique et aventureux. Originaire de Boston, il a commencé sa carrière comme danseur hip hop et, à seulement 17 ans, il passe à la danse classique pour ensuite être engagé par les Grands Ballets Canadiens. Avec cette compagnie, il a l’opportunité d’interpréter les grands rôles de ballets de Jiří Kylián, dont il aime le style raffiné et la construction des duos, de Mats Ek qui, avec sa danse parfois surréaliste et novatrice, lui ouvre de nouvelles perspectives de recherche et, enfin, d’Ohad Naharin qui a eu un grand impact sur sa manière de concevoir et de structurer son travail de chorégraphe. Tout ce bagage que l’on retrouve dans les chorégraphies d’Andrew Skeels n’a pas empêché ce dernier de développer sa propre recherche qui s’est révélée très riche et très capable de faire évoluer mutuellement et simultanément le langage chorégraphique contemporain et le hip hop. C’est à partir de 2017 qu’il commence à explorer le Krump (Kingdom Radically Uplifted Mighty Praise, en français littéralement élévation du royaume par le puissant éloge), style de danse urbaine américaine, né dans les ghettos de Los Angeles dans les années 2000 avec un but récréatif et social malgré ses apparences guerrières et puissantes. Il précise que « la danse est l’art le plus profond utilisé par la société pour nous relier les uns aux autres, pour nous inviter à regarder de près les expériences d’autrui e à découvrir la gamme des émotions et des expressions humaines ».

Quant à Isabelle Panneton, déjà compositrice pour l’Orchestre Métropolitain mais novice pour écrire pour la danse, elle déclare apprécier le travail d’Andrew Skeels dont elle dit avoir découvert sur Internet son rapport poétique au temps et à l’espace. D’autre part, elle se montre surprise face à la commande de Yannick Sézet-Séguin qu’est la création d’une partition pour trompette, étant habituellement familière des harmoniques du violoncelle et de l’alto, plus proches de sa sensibilité. Toutefois la proposition de se confronter à ce nouvel instrument a donné à la musicienne « un nouvel élan, je me suis lancée »,affirme-t-elle.

Abordons la nouvelle approche créative d’Andrew Skeels, dont le titre est déjà figuratif, évocateur de l’atmosphère du solo qu’il interprète.

Le trompettiste Stéphane Baulac domine en hauteur la verdoyante forêt de Saint-Sauveur et, avec ses notes claironnées et impératives, lance un appel de réveil général de tout le paysage et ses mystères, messager à la fois de paix et d’inquiétude. L’éveil touche un bataillon d’arbres immenses qu’on imagine colonisés par une armée de minuscules insectes ; une modulation tremblotée et aigue de la trompette suit, semblant animer d’un frémissement continu les feuilles et faire onduler les herbes hautes.

Une silhouette -torse nu- surgit de ces graminées et se détache. Un faune dirait-on, avançant à pas lents et trainants. Il nous fait ressentir tout le poids du corps qui se transmet d’un pied à l’autre. Il s’arrête dans un espace plat carré, lieu choisi pour pouvoir s’exprimer.

Le corps du danseur est transfiguré en cet être animalesque qui prend contact avec lui-même via des mouvements saccadés, désarticulés, provoqués, comme percutés par des ondes de choc. Ses extrémités complétement contractées cherchent d’abord la poitrine pour s’élever au niveau du visage, manifestant une sensation douloureuse qui l’amène à chuter au sol. Au fur et à mesure que la musique enfle, cette créature des forêts explore sa solitude en alternant moments d’abandon où sa danse devient plus fluide et moments de combat par des gestes contre lui-même.

La communion et l’intégration des différentes techniques chorégraphiques maitrisées par Andrew Skeels sont ici évidentes.

Ce parcours d’éveil atteint son point d’orgue avec un passage bref mais significatif : le faune s’adresse au soleil, par ses rayons infiltrant la forêt; tout prend alors la valeur d’une prière, d’une exhortation et d’une quête de puissance et d’énergie.  

La chorégraphie reprend son élan et nous montre le danseur/animal revigoré et rassuré capable  d’exécuter, surtout avec ses bras, des mouvements plus rapides, secs, étirés suivis de chutes en souplesse. Se relevant, il reprend son pas lourd traînant, caractéristique du début de la pièce et fixe la caméra avec un regard illuminé et humanisé.

Partage d’expériences, d’une histoire vécue, le public peut graver dans ses souvenirs cet Appel/Éveil du sommet survolant la forêt grâce à une prise de vue aérienne qui coupe le souffle.

Antonella Poli et Jocelyne Vaysse

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