Coppél-i.A.

Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot

Distribution : Les Ballets de Monte-Carlo

Musiques : Bertrand Maillot d'après Léo Delibes

ph.Alice Blangero

Sur une chorégraphie de Jean-Christophe Maillot et sur une création musicale de Bertrand Maillot d’après Léo Delibes, le ballet historique Coppélia, créé par Arthur Saint-Léon en 1870, connaît une récriture résolument ambitieuse et futuriste.

Coppél-i.A ouvre magnifiquement la saison des Ballets de Monte-Carlo: l’académisme, par son alliance avec la contemporanéité, sublimant cette création mondiale. Elle relie le passé, en s’inspirant lointainement du conte L’homme au sable d’E.T.A. Hoffmann,  et l’à-venir d’un corps aux capacités susceptibles d’être augmentées par l’intelligence artificielle.

Il y a un grand écart entre l’ancienne version romantique du XIXème siècle, symbole de l’attirance pour les automates et cette Coppél-i.A du XXIème siècle, qui bénéficie des ressources de l’intelligence artificielle. Le chorégraphe offre au public une intrigue aiguisant l’émergence des sens et de la conscience au sein d’un corps qui ne se limite plus à la seule mécanicité, interpellant la créature dans son identité et son humanité androïde. Jean-Christophe Maillot nous emmène dans un imaginaire qui s‘humanise sous nos yeux et concerne la réalité contemporaine de l’hybridation homme-machine. Tout au long du ballet, il ne s’agit plus d’assister à une fiction fantasmatique mais plutôt à une transformation progressive de Coppél-i.A.au contact des humains.

Par un jeu de larges emboitements circulaires mobiles sur le pourtour du plateau, nous sommes plongés, dans l’acte I, dans un univers de blancheur lumineuse au sein duquel Coppélius façonne et perfectionne à l’extrême sa poupée mécanique. Ses postures articulées sont avivées par la souplesse et la tonicité gestuelle parfaite de Coppél-i.A., la danseuse Lou Beyne, soulignées par un justaucorps gris pâle satiné aux reflets métallisés.

Puis viennent les fiancés promis au mariage sous un ciel néanmoins nuageux. Swanilda (Anna Blakwell) en jupe légère et Franz (Simone Tribuna) se lancent dans de réjouissantes évolutions dansées, en compagnie du confident (Lennart Radtke) et de la mère de Swanilda (Mimoza Koike) auxquels se joignent les amis et les invités ; le joyeux groupe offre une vaste panoplie de costumes -vestes, jupes, pantalons- inventifs et cocasses dans des nuances de blanc.

Jusqu’à l’apparition, au loin, de la silhouette de Coppél-i.A. telle une déesse, érigée dans un halo scintillant, couronnée, en robe étincelante.

Le duo Swanilda – Franz est perturbé par l’attrait de ce dernier envers Coppél-i.A., encore sous l’emprise de son créateur éperdu d’amour pour elle mais soucieux de l’humaniser en l’intégrant au sein des convives en liesse. Des pas de deux vibrants signent les désirs naissants et la recherche des contacts.

C’est alors que le lien indéfectible de Coppélius à sa créature se rompt, laquelle se dégage de sa condition mécanique. S’ensuivent des tensions chorégraphiques de rapprochement, d’éloignement, d’embrasement, de déchirement entre les protagonistes principaux (Coppélius, Coppél-i.A., Franz, Swanilda). Une succession de situations affectives d’envie, de révolte, de rage, de dépit, se manifeste par diverses attitudes posturo-gestuelles éloquentes, par des petits groupes mouvementés où dominent la subtilité et l’audace, l’intensité et l’énergie.

La confusion gagne Franz alors qu’on assiste à l’accession de Coppél-i.A à une sensibilité croissante, manifestée envers ce jeune homme de plus en plus troublé et empressé, laissant un vieux savant affolé et une Swanilda désemparée, au point que le mariage est annulé. Les cercles du décor se resserrent et se referment sur l’espace humain dans une atmosphère d’assombrissement.

L’acte II, dans une dominance inverse dédiée au noir sur fond blanc, introduit le public dans le laboratoire secret du savant.

Coppél-i.A, aux gestes encore hachés, saccadés, s’énerve contre Coppélius qui l’enferme dans une enceinte faite de lanières argentées. Elle s’en échappe et s’essaie alors à une danse solitaire, ondulante, toute en harmonie et en sensualité. Swanilda, sa mère et des convives, ayant réussi à pénétrer cet antre, découvrent les étranges prototypes machiniques qui s’animent avec des gestes de pantomimes, suscitant des incidents drolatiques et des rencontres.

Une grande agitation chorégraphique règne sur le plateau. Comme dans l’acte I, c’est l’occasion d’assister à des moments de danse valsés, rythmés, experts, à des mouvements fluides à l’unisson, à des rondes « de caractère » et populaires, soutenus par une musique retravaillée par Bertrand Maillot. Il précise, dans une discussion au décours du spectacle, avoir introduit des arrangements harmoniques à partir de la conception de Delibes et des sonorités tirées d’instruments virtuels de telle façon qu’il n’y a pas un calage instrumental sur la danse mais bien une écriture novatrice, « une partition hybride » mettant en résonance et en syntonie les deux arts pour former un tout.

Sur scène, l’intervention de Coppélius met fin l’euphorie ambiante : il fait chasser de son antre les intrus par les prototypes serviteurs, mais il n’a pas vu Swanilda revêtir les vêtements de Coppél-i.A. Franz, également présent et dupé, éprouve un élan tendre et sincère envers Coppél-i.A. qui n’est autre qu’une Swanilda charnelle et séductrice. Révélant son identité, le couple déploie son amour dans des approches esthétiques et virtuoses.

Coppél-i.A, devenue une femme libre, peut-être idéalisée, s’affranchit de toute domination, projetant au sol le vieux savant en larmes qui récupère une poupée de chiffon inerte, frustré et désespéré jusqu’à en mourir ; émancipée, elle s’éloigne et nous tourne le dos, s’aventurant vers un destin inconnu, que l’on dira transhumaniste,

Le conte restant un conte, l’épilogue célèbre avec faste, sous un ciel rosissant, les amoureux qui se marièrent et…Mais, là, libre choix nous est donné.

Par la luminosité scénique nuancée de la clarté à la brillance et par l’élégance des costumes dans des camaïeu de blanc, la palette émotionnelle – de la pulsion à la passion et à l’altérité – est valorisée par l’expressivité talentueuse des artistes. L’âme incorpore le mouvement, s’incarne dans un corps aux capacités amplifiées non pas selon une logique fonctionnelle et externe mais selon des intentions et émotions internes qui nous incitent, nous les humains, à une réflexion sur le pouvoir de nos facultés affectives et cognitives et sur l’éveil de ce que l’on aurait perdu par l’usage de technologies face aux avancées scientifiques et aux robots humanoïdes.

L’enthousiasme du public du Grimaldi Forum est intense, en la présence, appréciée, de SAR la Princesse de Hanovre, Caroline de Monaco. Les représentations de Coppél-i.A. se poursuivent jusqu’au 5 Janvier 2020.

ph.Alice Blangero

Salle des Princes, Grimaldi Forum, Monaco, 27 Décembre 2019

Jocelyne Vaysse

Sur Coppél-i.A.lire aussi l’interview de Jean-Christophe Maillot réalisée en amont de la création.

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