La Dame aux camélias

Chorégraphie : John Neumeier

Distribution : Les étoiles, les premiers danseurs, les solistes et le Corps de Ballet de l'Opéra de Paris

Musiques : Chopin

Ce ballet, créé en 1978, reste intemporel par l’emboitement de plusieurs drames amoureux mis en scène par John Neumeier. Il s’inspire du roman La Dame aux camélias de Alexandre Dumas fils* qui s’appuie sur une histoire fulgurante et douloureuse de sa vraie vie avec une jeune femme demi-mondaine Marie Duplessis.

John Neumeier est complétement amoureux du personnage de Marguerite Gautier, héroïne du roman, qui l’avait beaucoup touché. Le chorégraphe s’inspire de l’œuvre littéraire en essayant de reproduire, avec toutes les limites que la scène impose, les atmosphères et l’univers psychologique décrit par l’écrivain français. Sous cet aspect, La Dame aux Camélias est un chef d’œuvre.

Le couple brillantissime d’étoiles, Léonore Baulac (prise de rôle) et Mathieu Ganio, content les émois pathétiques de Marguerite Gautier et d’Armand Duval ; ils sont eux-mêmes « au théâtre » sur le plateau du Palais Garnier, remontant le temps avec la prestance d’une Marguerite fière, toujours fleurie d’un camélia blanc, assistant aux amours contrariés de Manon et du chevalier Des Grieux au 18ème siècle** dansés en costumes baroques avec brio par Eve Grinsztajn et Marc Moreau.

John Neumeier accentue la dimension psychologique des intrigues par le choix plus intimiste de la musique de Fréderic Chopin plutôt que celle de Giuseppe Verdi*, la somptuosité apparaissant dans la beauté des costumes et dans la performance exceptionnelle des interprètes étoiles Léonore Baulac/Marguerite et Mathieu Ganio/Armand.

L’alternance du passé et du présent se révèle un choix artistique parfait. Il permet l’analyse profonde de différents états d’âme à travers une forme de psychanalyse prête à découvrir les miroirs de l’intériorité des deux amants. L’histoire procède donc avec des flash-back: à partir de la première scène où Marguerite est déjà morte, le ballet parcourt à rebours toute l’histoire d’amour des deux protagonistes et elle met en avant, de manière profonde, leurs joies, leurs douleurs et leur capacité de s’aimer et de se faire du mal.

 16 Mars 1847 – Ventes aux enchères, un panneau nous avertit de la vente d’objets ayant appartenu à Marguerite, sa robe mauve, un livre… La salle s’assombrit. Avec Armand, le public se remémore une soirée au théâtre où se télescopent ses souvenirs (dont une scène de l’amour de Manon et de son chevalier**), sa rencontre avec Marguerite et l’offre d’un camélia qu’elle détache de sa robe.

Cette attention déclenche un duo romantique de plus en plus sensuel autant qu’il est de plus en plus osé ; la chorégraphie multiplie les portés audacieux et les élans énergiques de Mathieu Ganio et les équilibres innovants de Léonore Baulac figurant lovée, suspendue, recroquevillée… pour glisser au sol dans le ravissement. Puis, dégageant un érotisme certain, on contemple l’attraction masculine suscitée par Marguerite lors d’un bal, mais elle s’écarte, tousse de manière inquiétante et rejoint Armand.

A cet acte I, succèdent des jeux mondains qui introduisent à la réalité de l’atmosphère sociétale de la bourgeoisie parisienne savamment facétieuse avec ses fêtes mondaines dissolues, ses farandoles embarquant jeunes filles excitées, prostituées et servantes.

Sur scène, le piano. Marguerite et Armand sont là. Dans une fascination réciproque, ils se cherchent et s’éprouvent, les artistes révélant plus encore leur maitrise technique et leur extrême sensibilité. Elle se livre à lui, cheveux défaits, avec des gestes d’une grande délicatesse et précision ; Armand répond à ce raffinement, transportant  – dans tous les sens du terme – une femme énamourée à laquelle il exprime avec tendresse et subtilité, son exaltation. C’est un duo à la fois langoureux et fébrile, léger comme le tulle aérien, intense comme le désir exacerbé, magnifique par l’entente et la fluidité des échanges de corps – à – corps incessants.

Cette envol passionné est contrarié par le père d’Armand qui, s’opposant à cette liaison, entraine la belle à son bras qui se révolte avec des postures acérées, tremblantes et implorantes. Un pas de deux suggère ses pensées dérivant vers cet autre duo mythique (Des Grieux  – Manon) mais, là, Marguerite et Manon dansent en miroir avec une très grande habileté, cette dernière en sort triomphante.

L’acte II se termine avec Armand, ayant reçu la triste missive ; il exprime sa douleur et sa flamme avec un manège de cabrioles parfaites, de pas rapides et de traversées effrénées du plateau.

On retrouve l’incandescence du couple à l’acte III après que Armand enlève la cape noire portée par une Marguerite hiératique, qui laisse tomber son bouquet de camélias devant… cette vision. A nouveau, un bal somptueux en robes noires moirées se déroule. Réminiscences…

Les interprètes Baulac – Ganio, s’étourdissent dans une valse : aux incitations fougueuses d’Armand et à son assurance virile correspondent des mouvements cambrés, renversés, désaxés, balancés de Marguerite pour finir dans une farouche roulade au sol, l’un déshabillant l’autre…

La scène finale montre une Marguerite vulnérable, vêtue d’une robe rouge écarlate, puis alanguie sur un sofa, épuisée et entrevoyant avec émotion une scène théâtrale de Manon visitée par Des Grieux. Elle s’effondre, seule, à l’agonie. Trois heures de ballet paraissent presque insuffisantes tant on ne se lasse pas d’un telle magnificence chorégraphique.

Paris, Opéra Garnier, 7 Décembre 2018

Antonella Poli

* Pour son roman « La Dame aux camélias », Alexandre Dumas, fils illégitime de Alexandre Dumas (père), s’inspire de sa propre relation avec Marie Duplessis entre septembre 1844 et août 1845, jeune courtisane adulée par de nombreux amants. Jaloux et endetté par ses exigences mondaines parisiennes, il la quitte, fait un long voyage, apprend à son retour en 1847 son mariage avec un comte et sa mort due à la tuberculose. Installé à Saint-Germain-en-Laye, A. Dumas achève en trois semaines son roman, publié en 1848, au succès immédiat. Il le transforme en une pièce de théâtre ; jugée immorale, celle-ci est jouée pour la 1ère fois en Février 1852 et elle est reprise en opéra lyrique, La Traviata, par Giuseppe Verdi en 1853, au Théâtre la Fenice de Venise le 3 Mars.

** Roman de l’abbé Prévost « Manon Lescaut (1731) » qui a contribué à forger les personnages de Marguerite Gautier (la dame aux camélias) et d’Armand Duval (A. Dumas lui-même (fils).

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