Eden

Chorégraphie : Fabio Lopez

Distribution : Cie Illicite

Musiques : Philippe Hersant, Joao D.Bomtempo, Pavel Karmanov et Philip Glass

ph.Stéphane Bellocq

Illicite fête ses cinq ans ! La compagnie a été créée par Fabio Lopez en 2015 avec l’intention de développer et de défendre l’idée d’une Europe artistique contemporaine, tout en sauvegardant la tradition du langage classique-néoclassique dont elle défend la présence dans le panorama de la danse française et internationale.

Grâce au soutien de la ville de Bayonne, l’équipe artistique d’Illicite a pu évoluer au long de ces cinq années et c’est dans le Théâtre Michel-Portal de la ville basque que Fabio Lopez présente son programme anniversaire.

Il s’agit d’Eden, un projet de 2020, lauréat du Groupe Caisse des Dépôts. La pièce confirme l’aptitude du chorégraphe à choisir des thèmes qui ouvrent à la réflexion : non seulement ses œuvres mettent en lumière une danse bien articulée ancrée dans l’héritage néo-classique, mais elles sont aussi fondées sur une relecture personnelle et interprétative des sujets abordés. Ces aspects font la force de Fabio Lopez dès ses premiers pas en tant que chorégraphe : on remarque sa création Poil de carotte, présentée en septembre 2016 au Festival Le Temps d’aimer de Biarritz, puis Molto Sostenuto en 2018 et Si je buvais les étoiles, création de 2019 pour les élèves du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. 

Eden s’articule en trois volets : Mad, nouvelle création 2020, Aura (2017) et Cage of Good (2019). Aujourd’hui, les trois pièces constituent une unité, symbole de l’exploration du chorégraphe autour des thèmes de l’Enfer, du Purgatoire et du Paradis. L’auteur dépasse les visions simplistes héritées de la tradition (nombreux sont les exemples, tant d’un point de vu littéraire que dans l’histoire de l’art) pour aller chercher plus loin, avec sa sensibilité.

Dans Mad, où les musiques sont signées par Philippe Hersant, le chorégraphe s’inspire du triangle rose, une vision allégorique qui nous renvoie à des états de souffrance, de désespoir, motivées par des raisons bien différentes de celles que l’on peut retrouver notamment dans l’Enfer de la Divine Comédie. Dans l’enfer de Fabio Lopez, les créatures sont écrasées par terre, tremblent animés par des pulsations. La musique de Philippe Hersant crée une atmosphère à la limite obsédante, sombre, amplifiée par l’obscurité présente sur scène. Un premier solo où la danseuse avec son justaucorps rose glisse sur le sol en se transportant, met bien en avant le propos. Tout le corps exprime sa peine et son tourment : les jambes, les bras jusqu’aux mains, toutes les articulations sont contraintes. Dans cette première partie, Fabio Lopez enrichi son langage néoclassique avec une vision nouvelle de formes de mouvement plus introspectives et une musicalité aigue car la partition, accompagnée par le chant, n’est pas tout à fait simple.

La deuxième partie, Aura, s’inspire du mot grec qui peut être traduit par exhalation humaine. Plus précisément, « je me suis inspiré du texte de l’auteur français Yann Bouvard, Un jour nous sommes tombés du Paradis », précise Fabio Lopez.

Un duo masculin délicat ouvre cette section, suivi de quatre danseuses, interprètes de mouvements plus articulés, riches de tensions et d’énergie, exprimant leur regret du Paradis perdu. Les danseurs y valorisent leurs qualités techniques, tant dans l’exécution de nombreux portés bien articulés que dans la précision des poses de chaque séquence. Surtout dans leurs corps à corps serrés, les danseurs se font messagers d’un sentiment fort de regret. Le duo sur la musique Lacrimosa est l’expression à la fois d’un état de soumission et d’une aspiration à vouloir s’élever en coopération mutuelle.

Cage of God, expression du Paradis, est une surprise. Plutôt que de retrouver une atmosphère de béatitude, on se trouve face à des créatures qui se questionnent sur leurs âmes. Une danse frénétique et puissante manifeste leurs inquiétudes. Toutefois les corps sont libres mais se remettent en cause selon les enseignements de Saint Augustin. Intense et sans jamais s’arrêter, les six interprètes traversent la scène, se jettent violemment à terre pour se relever et s’adresser au ciel, soutenus par le rythme pressant de la musique de Philip Glass. « L’humanité, même au Paradis, ne doit jamais cesser de se questionner » semble être le message final d’Eden, pièce douée d’une écriture chorégraphique précise et claire, faisant évoluer la danse néoclassique.  

Bayonne, Théâtre Michel -Portal, 8 Février 2020

Antonella Poli

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