Le Cantique des cantiques

Chorégraphie : Abou Lagraa

Distribution : Pascal Beugré-Tellier, Ludovic Collura, Saül Dovin, Diane Fardoun, Nawal Lagraa-Aït Benalla, Charlotte Siepiora (danseurs), Gaïa Saitta, Maya Vignando (comédiennes)

Musiques : Olivier Innocenti

ph. Dan Aucante

Abou Lagraa, avec son Cantique des Cantiques, lance un cri d’exhortation pour une prise de conscience. Il reprend au Théâtre National de Chaillot ce ballet créé en septembre 2015 à la Maison de la Danse de Lyon. Le public ne doit pas s’attendre à retrouver la signification de ce texte qui date désormais de plus de 2500 ans. Le chorégraphe se plonge dans le Cantique avec un regard contemporain pour y chercher des correspondances avec notre société ; Que reste-t’il de son message originaire ? Le texte est un hymne à l’amour qui remet en avant la figure féminine, mais comment vivons-nous aujourd’hui ses enseignements et quel est notre rapport à la religion ? Ce sont les questions auxquelles Abou Lagraa apporte ses réponses avec un langage chorégraphique sincère et violent, à la fois sensuel et sauvage et qui n’épargne rien.

Abou Lagraa dévoile les propos de son œuvre : « J’ai travaillé huit mois sur le Cantique des Cantiques pour le décortiquer en utilisant la traduction d’Olivier Cadiot et Michel Berder (Bayard Editions). Ce texte, très ancien, qui avait eu une mission éducative car il parle à l’homme de l’amour avec des références à l’émancipation de la femme, semble aujourd’hui avoir perdu son objectif. Je me suis rendu compte, un constat terrible, qu’aujourd’hui la société semble avoir oublié et détruit ces messages. Ce travail m’a donné aussi l’occasion de réfléchir sur le rôle des religions, sous toutes leurs formes.

Par exemple, la religion musulmane avec Daesh a détruit un énorme patrimoine, la femme se retrouve obligée de se voiler et plus en général elle n’est pas respectée. Etant un texte qui consacre l’amour, j’ai voulu aussi aborder le thème de l’homosexualité. Pourquoi ne pas donner à tous le droit d’aimer ? Seulement, il y a un an, un homme a été lapidé seulement à cause de son choix sexuel. Je ne voulais pas créer un ballet narratif qui respectait entièrement le contenu du texte. Mikaël Serre m’a compris et nous sommes arrivés à créer cette version qui met à plat les faiblesses et les contradictions de notre société. J’ai travaillé les lumières avec Fabiana Piccioli et les musiques avec Olivier Innocenti. Le message du Cantique se révèle d’autant plus moderne si l’on le compare à celui de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne. Je l’ai analysée et j’y ai trouvé des analogies. C’est pour cette raison qu’à la fin de la pièce je fais défiler sur scène quelques articles de ce document ».

 

Effectivement, le public pourrait rester choqué par ce ballet. Le sens du sensuel reconnu à Abou Lagraa (cf. l’ouvrage homonyme, Ed. Riveneuve) assume ici une dénotation sauvage et animalesque. Les scènes d’amour sont fortes et vécues avec intensité ; l’acte d’un viol est représenté avec toute sa violence sans aucun sens de pudeur. Une présence féminine toute seule et nue sur le fond de la scène manifeste toute son impuissance et son désarroi face à la prise de conscience de son état de faiblesse en tant que femme. Et en même temps cette pièce montre aussi la volonté de révolte : les solos émouvants de Nawal Lagraa-Aït Benalla sont des exemples.

Nous sommes bien loin de la tendresse et de la douceur du texte de la Bible et de la Torah. Le langage chorégraphique d’Abou Lagraa assume ici une connotation dramatique essentielle pour peintre un portrait de la société contemporaine sans équivoque. Face au silence des intellectuels de notre époque évoqué par le philosophe Jean Luc Nancy tout au long de son intervention pendant la leçon de silence, L’indicible : Silences de l’amour, Silences de l’amitié de samedi 3 Décembre au Théâtre National de la Danse Chaillot dans le cadre du projet Silence(s) et en écho du spectacle, cette œuvre se révèle au contraire tout à fait parlante et met en discussion les valeurs qui nous guident aujourd’hui. Il s’agit d’une invitation à réfléchir sur notre avenir dans un contexte géopolitique incertain et précaire. Abou Lagraa sera présent avec une nouvelle création de tout autre registre, Dakhla, du 12 au 16 janvier 2017 à la XXVème édition du Festival Suresnes Cité Danse.

Paris, Théâtre National de la Danse Chaillot, 1 Décembre 2016

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