Le Rouge et le noir

Chorégraphie : Pierre Lacotte

Distribution : Les étoiles, les premiers danseurs et le Corps de Ballet de l'Opéra de Paris

Musiques : Jules Massenet

ph.Christophe Pelé

Le roman Le Rouge et Le Noir, écrit par Stendhal, est une des œuvres fondamentales de la littérature française. Il marque une période historique, celle de la Restauration, mettant en avant non seulement les enjeux politiques du moment mais aussi faisant savourer à son lecteur les sentiments et les passions de l’époque. L’ouvrage a toujours passionné Pierre Lacotte qui se l’est approprié avec sa dernière création pour le Ballet de l’Opéra de Paris, très attendue. Outre la chorégraphie, il signe les costumes, somptueux autant que les décors originaux tout en blanc et noir comme les pages et l’encre d’un livre.   

La distribution annoncée pour la soirée de la première, le 16 Octobre dernier, prévoyait les étoiles Mathieu Ganio (dans le rôle de Julien Sorel), Amandine Albisson (Mme de Rênal), Stéphane Bullion (M. de Rênal), Valentine Colasante (la servante Elisa) et Myriam Ould -Braham (Mathilde de la Môle). Un cast d’exception, formé des artistes les meilleurs de la compagnie.

Le personnage de Julian Sorel, aussi audacieux dans son ascension sociale que dans le transport amoureux de ses sentiments et de ses instincts, est un aventurier de la vie qui lui réserve des surprises.

Le ballet commence. On est chez les Rênal où Julien entreprend de charmer Mme de Rênal qui, à son tour, est fascinée par le jeune homme. En tant que précepteur de ses enfants, il les initie à la danse en leur montrant des séquences très classiques, allant en crescendo dans la difficulté et culminant dans de riches batteries. L’aventure du Julien Sorel de la soirée (Mathieu Ganio) s’arrête très vite. Blessé, il est obligé de quitter la scène et de laisser sa place au premier danseur Florian Magnenet qui, courageusement, assume non seulement l’importance de son rôle mais aussi les attentes d’un public impatient de revoir une grande production classique dans leur temple parisien.

Florian Magnenet – ph.Svetlana Loboff

Les scènes successives du premier acte sont consacrées aux deux amants, Madame de Rênal et Julien Sorel, qui s’abandonnent et expriment leur attirance grâce à des pas de deux fluides, avec des portés aériens très intimes, témoins d’une relation qui devient de plus en plus charnelle. 

Amandine Albisson s’impose, faisant rayonner la scène : à la fois passionnelle et délicate, elle  incarne une femme de la haute bourgeoisie, vigoureuse et fidèle à ses sentiments, se montrant forte et consciente de sa relation transgressive. Elle semble renaître des descriptions faites par Stendhal : « grande, bien faite […] avait été la beauté du pays comme on dit dans ces montagnes. Elle avait un certain air de simplicité, et de la jeunesse dans la démarche ; aux yeux d’un Parisien, cette grâce naïve, pleine d’innocence et de vivacité serait même allée jusqu’à rappeler des idées de douce volupté». Elle était «fort timide et d’un caractère en apparence fort inégal», «Tout à coup l’affreuse parole : adultère, lui apparut».

Amandine Albisson et Stéphane Bullion – ph. Svetlana Loboff

Le ballet se distingue donc déjà par une bonne caractérisation psychologique, qui dérive peut-être de l’essai de psychologie écrit en 1822 par Stendhal, intitulé De l’amour, où il distinguait quatre sortes d’amour : «l’amour-passion», «l’amour-goût», «l’amour physique» et «l’amour de vanité». Cette aptitude à l’introspection humaine est valorisée aussi au travers du personnage d’Elisa (l’étoile Valentine Colasante) qui captive le public avec ses soli dans lesquels elle exprime sa rivalité vis-à-vis de ses deux concurrentes, Mme de Rênal et Mathilde de la Mole, montrant sa volonté d’anéantir les succès amoureux du jeune Julien Sorel. Sa danse si précise s’associe à un caractère de fer et à une interprétation puissante de la technique classique.

Le jeune homme, après être charmé par  la figure angélique de Mme de Rênal, tombe amoureux de l’aristocrate Mathilde de la Mole, plus froide, et avec laquelle l’amour perd sa connotation passionnelle. Elle est attirée par lui car il n’appartient pas à la même classe sociale. Quant à lui, cette relation devrait consacrer son ascension sociale, raison pour laquelle, il se jette dans ses bras sans vivre la même intensité passionnelle qu’avec Mme de Rênal. Même dans ce cas, dans le deuxième acte, Pierre Lacotte réserve aux deux amants des pas des deux riches en portés qui font apercevoir la nature « plus cérébrale » de la relation. Cela se déroule dans l’ambiance somptueuse du salon des De la Môle où le chorégraphe conçoit un bal fastueux avec les danseurs du Corps de Ballet aux costumes admirables, recréant l’atmosphère de l’époque grâce à leurs danses d’ensemble.

ph. Svetlana Loboff

L’originalité de la chorégraphie et la nouveauté du langage adoptées par Pierre Lacotte se manifestent surtout au début du deuxième acte, dans la scène du Séminaire et dans le troisième acte dans le tableau de l’Eglise. Le chorégraphe abandonne le style classique prédominant dans le reste du ballet en faveur d’une gestualité plus puissante et linéaire, caractérisée par des mouvements plus amples et par la grande choralité des danseurs. Cela se voit soit dans les tableaux où les séminaristes essayent de combattre la rébellion de Julien  envers les règles ecclésiastiques, soit dans l’église avant la blessure de Mme de Rênal.

Le final est attachant : la dernière visite en prison de Mme de Rênal à son amant, avant qu’il soit guillotiné, exprime la véracité de ses sentiments, déjà évoquée dans la lettre qu’elle écrit aux juges : « Je ne désire qu’une chose au monde et avec passion, c’est qu’il soit sauvé ». Encore une fois Amandine Albisson éblouit la scène, transmettant toute l’émotion et la douleur ressenties.

Les seize tableaux qui composent le ballet, dont huit dans le dernier et troisième acte, créant cependant des coupures inattendues, font de cette production fastueuse une œuvre qui démontre toute la sensibilité et la maîtrise de Pierre Lacotte : il a voulu se plonger dans un roman très célèbre qui lui permet de faire rayonner encore une fois la danse classique française afin de conserver cet héritage.

Jusqu’au 4 Novembre, Paris, Palais Garnier

Antonella Poli

 

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