L’Envol

Chorégraphie : Nacera Belaza

ph.Laurent Philippe

 Le 42ème Festival Montpellier Danse produit pour la cinquième fois la Franco-Algérienne Nacera Belaza, nommée en 2015 Chevalier des Arts et des Lettres. Elle est accueillie en résidence à l’Agora – Cité Internationale de la danse à Montpellier  pour cette création.

Sa pièce, intitulée L’affut  ou encore L’envol  travaille, selon les termes de la chorégraphe, « une danse qui s’écrirait en maintenant le corps en état de chute » dont elle remarque « l’absence  de résistance » et « la liberté qu’elle procure au corps et à l’esprit ». De la chute, situation qu’elle a vécu sur scène de façon simulée ou réelle et redoutée, elle en retient un sentiment de libération aussi bien dans sa vie d’interprète qu’en tant qu’être humain.

La chute s’associe, pour Nacera Belaza, au drame perçu par le monde entier lors de l’ attaque terroriste des twin towers à New York en 2001, lors des reportages vidéo montrant des employés bloqués dans les étages supérieurs des tours en feu, acculés à la défenestration. Leur saut dans le vide, leur chute libre vertigineuse, jambes en l’air et tête en bas abandonnées à la gravité, fonçant vers la mort, induisent la pensée, chez Nacera Belaza, que l’humain est assailli instantanément de « courants contradictoires » tels que l’effroi du choc inéluctable et « l’étrange et inattendu calme de ‘’the falling man’’ (l’homme qui tombe) », tragédie également fixée par des photos. Elle écrit aussi que « l’homme aurait du crier, tenter de freiner la chute, qu’il accueille l’inévitable et l’inutilité de lutter contre ».

Ce sont ces propos, ces images bouleversantes, le parcours de sa vie confrontée à des combats sociaux et à certaines chutes marquantes interpellant la mémoire de son corps et ses réminiscences, qui alimentent la pièce.

Nous, public, sommes plongés dans l’obscurité, accompagnée d’une musique en sourdine qui, en s’accentuant, sature le plateau désert pendant plusieurs minutes. Le son se transforme en un grondement sourd, profond, qui rend l’atmosphère pesante et même oppressante.  

Dans une tache blanche lumineuse en fond de scène, une silhouette se devine selon une visibilité variable ; elle s’agite, disparaît, puis revient à la faveur d’un long sifflement aigu, aiguisant l’attente du public.

Une forme humaine se distingue, s’avance, se cambre, se redresse et sombre dans le noir dans un lent tourbillon, et resurgit. Alors que le son enfle, une forme auréolée glisse en écart au sol suivi d’un redressement, amorce une marche indécise avant-arrière et une gestualité désordonnée, elle installe des moments d’hésitation, laissant ainsi le public dans l’incertitude.

Ces apparitions – disparitions se renouvellent, les spots lumineux aussi, faisant irruption dans une sorte de brouillard opaque imaginaire. Ils éclairent faiblement deux ombres à peine discernables, évoluant sur le plateau avec brièveté, semblant chercher des appuis sans chuter, effectuant une rotation pour finir dans un déséquilibre et s’évanouir dans la nuit.

A la musicalité continue se superposent des coups frappés qui rythment des danses furtives, évanescentes, solitaires ; quelques traversées à pas courus suggèrent l’affolement ; et toujours ce halo de lumière, parfois violent, parfois punctiforme, parfois vide de tous danseurs qui obligerait donc à percevoir l’invisible, nous renvoyant implicitement à une introspection personnelle. Puis quatre danseurs, habillés en noir, viennent saluer sobrement en pleine lumière.

ph.Gregory Lorenzutti for Dancehouse

 Mais que voit-on vraiment durant une heure ? « Au risque de déplaire » dit Nacera Belaza.

La pièce se déploie avec ces visions successives donnant peut-être à saisir l’essence même d’un geste, ce qui fait sa substance dont on a ici un aperçu charnel. Mais le corps dansant est langage, il parle sans mots ; il dévoile l’âme des humains aux prises avec la violence de certaines émotions, avec l’angoisse de mort, voire avec une certaine perception méditative d’un au-delà.

 Si quelques spectateurs ressentent une déception devant une expression trop discrète résumée par « on n’y voit rien… », les applaudissements témoignent qu’une incarnation de vibrations intérieures intimes et du sentiment de soi se projettent sur l’esquisse subtile mais forte des mouvements dansés, et qu’une lecture de ces derniers est appréciée à leur juste valeur et à leur niveau de sublimation.    

Montpellier, L’Agora, Studio Bagouet , 29 Juin 2022

Jocelyne Vaysse  

Partager
Site internet créé par : Adveris