Merce Cunningham/CNDC d’Angers

Chorégraphie : Merce Cunningham

Distribution : CNDC d'Angers

Beach Birds-ph.Charlotte Audureau

Pour qui voudrait faire connaissance avec l’esthétique de Merce Cunningham (1919 – 2009) ou se ressourcer et se délecter du programme proposé par le Théâtre National de la Danse Chaillot, la soirée du Vendredi 1er juin 2018 fut idéale.

 Robert Swinston, en tant qu’ex-assistant de Cunningham, connaisseur, passeur de ses chorégraphies et directeur depuis 2013 du Centre national de danse contemporaine d’Angers créé en 1978 est à l’origine de ce programme.

La soirée débute par une reprise de Inlets (1977) et sa réinterprétation en tant que Inlets 2 avec 7 interprètes (et non 6).

La nature et la constance d’un paysage se ressentent dans le calme formel des mouvements où l’on reconnaît la grammaire du chorégraphe américain claire, subtile, affirmée. Accords et désaccords posturo-gestuels entre différents points du plateau répétant une « gamme faite de 64 mouvements » résultent de la déconstruction d’une hiérarchie autrefois imposée par l’académisme et par la danse moderne, éprouvée par Merce Cunningham avant qu’il  quitte la compagnie de Martha Graham et fonde la sienne.

L’eau clapote, « glou-gloute », reflue, accompagnée de quelques notes de piano. Les danseurs et danseuses évoluent sans emphase, presque trop appliquées à leur exécution fluide, sans histoire à raconter sauf la permanence de l’écoulement de l’eau d’une rivière  – et peut-être du temps que l’on ne peut arrêter -. L’unisson chorégraphique se retrouve dans les nuances de leurs costumes verts d’eau, pâle, profond, bleuté ou moiré selon les artistes hommes et femmes.

Le joyau de la soirée est la pièce Beach Birds (1991), sans musique, dont l’épigraphe « Entre la rivière et l’océan, les oiseaux, la plage » situe l’action et… fait rêver.

Les onze danseurs sont métamorphosés en oiseaux marins identiques par leurs justaucorps blancs dont le haut noir enserre les épaules et les bras jusqu’aux doigts, allongés et prolongés tels des ailes (qui ne permettent pas de voler). La vitalité animale s’incarne ; duo et trio se forment, s’éloignent et se rejoignent. A la fois solitaire et regroupé par moment, les manchots- danseurs  de cette colonie partagent par instant des tressautements mimétiques, des frémissements de jambes, des gesticulations calquées puis décalées, des inclinaisons subites de la tête, des positions angulaires des corps dans l’espace.

Ce tableau, révélateur d’une danse en passe d’être contemporaine dans les années 90, est éblouissant et se termine sur un fond de scène bleuté qui rosit signant – plutôt qu’un possible crépuscule – l’aurore.

Beach Birds, ph.Charlotte Audureau

How to Pass, Kick, Fall and Run (1965) clôturant la soirée semble raconter une histoire à deux voix puisque les comédiens présents sur scène, assis côte à côte, lisent leur texte aux innombrables feuillets. En fait, ce sont deux – ou mille – récits faits de bribes qui s’entrecoupent, sans cohérence entre elles. Ils racontent, si on peut dire, des faits inessentiels, absurdes ou vénéneux comme les champignons, côtoyant des mots sur Herigel, le bouddhisme et le tir à l’arc dans l’obscurité*, sur Black Mountain College** écrits par John Cage ; ils sont ponctués d’occurrences chorégraphiques juxtaposées qui ne suggèrent aucune véritable construction de sens prédéterminée. Il n’y en a pas, sauf à illustrer cette volonté disruptive – comme la vie – chère à Cunningham et à ce musicien et compagnon John Cage avec les events aléatoires car chaque très courte pièce est tirée au sort.

On connaît l’intérêt de Merce Cunningham pour le mouvement dans « ce qu’il est » intrinsèquement, développant ses recherches grâce au logiciel Lifeforms, poursuivant la scène jusqu’à ses ultimes représentations où, claudiquant (du à l’arthrose) jusqu’au centre du plateau muni d’une chaise, il s’asseyait et engageait un ballet gestuel étonnant de célérité et d’esthétisme.

Sa fascination pour le mouvement des mammifères et oiseaux connaît une continuité, transposant leur énergie dans ses dessins d’animaux aux aguets prêts au bond ou à l’envol ***.

How to Pass, Kick, Fall and Run-ph.CNDC

Une soirée magique à remonter le temps que la mémoire ne doit pas oublier.

Jocelyne Vaysse

* Herigel E., Le zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc, édité en 1948, concernant la maitrise du mental

** Lieu mythique où John Cage a créé un first event ou évènement non prémédité (futurs happening) et où M. Cunningham séjourna

***  Cunningham M. (2003), Other animals, Drawings and Journals, NewYork, Aperture Edition.

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