Orpheus Alive

Chorégraphie : Robert Binet

Distribution : Heather Ogden, Harrison James et les artistes du Ballet National du Canada

Musiques : Missy Mazzoli

Orpheus Alive-ph.Karolina Kuras

Orpheus Alive, la nouvelle création de Robert Binet pour le Ballet National du Canada, dont il est chorégraphe associé, a été présentée au Four Seasons Center for Performing Arts, Toronto, du 15 au 21 Novembre.

Ce n’est pas la première fois que Robert Binet travaille sur le mythe grec, puisqu’en 2015 il avait présenté des extraits d’une pièce nommée Orpheus Becomes Eurydice à TEDxToronto. Cette nouvelle oeuvre apparaît donc comme l’aboutissement d’un travail au long cours.

Le point de départ est le mythe grec : Orphée et Eurydice représentent l’amour pastoral parfait. Le jour de leurs noces, qui devait être le plus heureux de leur vie, Eurydice est mordue par un serpent et meurt. Pétri de douleur, Orphée se rend alors aux enfers à la recherche de sa future épouse. Hadès lui ouvre les portes pour la faire retourner en vie à condition qu’il ne se retourne pas pour la voir avant d’être sortis ensemble des Enfers. A quelques mètres de la sortie, Orphée cède à sa passion amoureuse et regarde Eurydice, ce qui a pour effet de la plonger dans les ténèbres pour l’éternité.

Au Four Seasons Center, lorsque le rideau se lève, le public découvre une immense salle d’attente éclairée au néon où les danseurs sont des âmes en peine qui ont récemment perdu un proche. S’ils sont tous de noir vêtus, Orphée contraste dans son habit blanc et jaune. Au centre, un monstre à trois tête agité répond au téléphone, appelle les personnes qui ont des réclamations… Si l’effet ironique de l’ouverture fonctionne, la noirceur et la tristesse qui vont teindre le ballet sont déjà bien visibles.

Dans Orpheus Alive, les héros grecs se rencontrent dans le métro de Toronto. Le quai de la station Osgoode, l’arrêt du Four Seasons Center, apparaît d’ailleurs sur scène dans les moments de flashback où la rencontre se noue. Si, dans le mythe grec, Orphée doit descendre aux enfers, l’idée d’avoir placé la rencontre dans un souterrain annonce le destin implacable des deux amants. Extérieur, intérieur, tout est mêlé dans le monde moderne, preuve en est : le nom de la station de métro est transformé en Underworld – Styx River, d’un simple mouvement de main.

Au fur et à mesure que le ballet se déroule, on est marqué par le talent de Robert Binet à faire voir la lutte dans chaque mouvement. Les danseurs sont des figures perdues, elles se battent pour rester en vie mais le poids de la tristesse prédomine. Dans les différents tableaux, la langueur et le malaise habitent les esprits qui entourent ceux qui s’aiment, l’amas des corps est d’une maîtrise impeccable, jamais vulgaire ou provocante, les danseurs symbolisent ici le poids du malheur. En employant ainsi les corps, le chorégraphe arrive à marquer l’opposition entre la masse et l’unicité de ceux qui s’aiment dont l’état vécu les conduits toujours à s’imaginer seuls au monde.

Un pari réussi

L’un des paris réussis du chorégraphe a été l’inversion des genres. Orphée est une femme (Heather Ogden) et Eurydice est un homme (Harrison James). Ainsi, toute la fragilité dans le corps et les mouvements qu’on attendrait dans un personnage féminin classique, est transférée dans les pas d’un danseur masculin. La force vitale qui doit faire vivre le couple jaillit d’une femme. Si cette idée peut paraître simple, elle prend une dimension qui marque chaque pas de deux où celle qui porte est Orphée : elle conduit, dirige, se bat avec son corps pour que l’amour existe. Le public aussi tient un rôle dans ce ballet : nous sommes les dieux et, parfois, lorsque les danseurs s’adressent à nous, notre silence pesant en dit long.

Tout au long de la pièce, c’est Orphée qui a le contrôle et cette maîtrise apparaît dans les mouvements des personnes qu’elle tient comme des marionnettes : Eurydice, mais aussi sa mère (Sonia Rodriguez). Elle partage la peine d’Orphée et semble ne pas contrôler sa tristesse lors d’un solo splendide, brûlant de légèreté.

L’entrée d’Orphée dans les enfers constitue le tableau central du ballet. Orphée traverse le Styx, poussé sur un chariot par le monstre à trois têtes. Alors qu’elle fait le tour du plateau, au centre, apparaissent des projections d’Eurydice et Orphée. Plus elle s’enfonce dans les enfers, plus les costumes des danseurs sont abimés et rongés par la saleté. Les pas de deux qui se succèdent sont teintés d’onirisme et d’innocence, tout en annonçant le pire à venir.

La création musicale de Missy Mazzoli accompagne à la perfection les moments de lenteur extrême comme les plus vifs. L’orchestration est baignée dans des effets de dualité, parfois très douce, parfois brutale. Les notes semblent venir du fin fond de la terre. Certaines envolées nous font penser à la musique de Leonard Bernstein avec des accents de jazz, de bande originale de péplum et de musique électronique. Chaque démarrage de tableau est marqué par le métronome, le temps défile, jusqu’à l’arrivée dans les enfers où il disparaît.

De ce que disent les personnages, que ce soit avec les mots ou les corps, une phrase transparaît : « We need more time », on veut plus de temps, plus de temps ensemble dans un monde où on veut s’aimer malgré sa laideur et le poids placé sur nos épaules. Orpheus Alive nous fait traverser tous les états de l’amour et, lorsque la lumière s’éteint, on veut revivre ce périple comme si l’issue pouvait en être différente.

Lors de la présentation à Toronto, Orpheus Alive était précédé du Chaconne de George Balanchine, créé en 1976 et dansé pour la première fois dans la Ville-Reine en 2019. La musique de ce ballet, Orphée et Euridice de Christoph Willibald Gluck, faisait le lien entre les deux ballets. De facture très classique, Chaconne a été une réussite valorisant les qualités de légèreté du ballet, grâce aux interprétations des solistes Koto Ishihara et Naoya Ebe, d’une grâce et d’une élégance rare.

Toronto, Four Seasons Center for the Performing Arts, 21 Novembre 2019

Hadrien Volle

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