Tradition et contemporanéité : interview à Thierry Malandain

A l’occasion du XXIIIème festival  » Le Temps d’aimer la danse  » de Biarritz qui a proposé cette année 46 spectacles et invité 30 compagnies, son directeur artistique, Thierry Malandain, nous a dévoilé les secrets de son organisation, les principes de ses créations artistiques et les tendances du panorama chorégraphique.

A.P.: Il s’agit de la XXIIIème édition du Festival. Comment avez-vous choisi les compagnies invitées et quelles ont étés les ambitions de cet événement ?

T.M.: Mon ambition principale était celle de donner un panorama ouvert à 360 dégréés sur la danse contemporaine d’aujourd’hui. Je commence à regarder les vidéos des compagnies qui m’envoient leurs oeuvres même deux ou trois ans à l’avance. Nous avons aussi un réseau international de partenariats qui nous propose de nouveaux artistes, témoins des tendances contemporaines. Par exemple cette année, l’association KORZO de l’Haye qui met à disposition des studios à deux jeunes créateurs, nous a permis de connaître Samir Calixto qui a présenté un duo bouleversant sur les Quatre Saisons de Vivaldi.

Une autre source est le concours Reconnaissance. Les lauréats du concours ont la possibilité de montrer leurs travaux chorégraphiques pendant le festival. Certainement le choix n’est pas facile et d’ailleurs je ne peux pas choisir seulement les spectacles que j’aime. L’important pour moi est que les spectacles aient un sens, soient cohérents et puissent ouvrir les portes de l’imaginaire pour permettre au public de saisir les différences parmi les divers styles chorégraphiques.

Vous avez déjà créé plus de 70 ballets, mais comment avez-vous commencé votre carrière de chorégraphe ?

J’étais danseur classique au Ballet de Nancy et bizarrement, même si j’avais 23 ans, je pensais déjà à mon futur, à quand j’aurais arrêté de danser.

J’avais le désir de devenir décorateur de théâtre et je suivais des cours par correspondance. En 1984 je participai au concours de Volinine (d’après le nom d’un des danseurs des Ballets Russes), et je le remportai ; suivront après les deux prix au concours de Nancy (1984-1985). En 1986 je commençais à me dédier complètement à la danse et je créais la compagnie « Le Temps présent  » avec huit danseurs mes collègues du Ballet de Nancy. C’est grâce à la solidité de ce groupe (certains parmi eux travaillent encore avec moi aujourd’hui, comme Richard Coudray, maître de ballet du Malandain Ballet Biarritz), que j’ai pu développer mes idées et poursuivre ma carrière de chorégraphe.

Votre style chorégraphique a-t’il subi des évolutions pendant toutes ces années ?

J’ai toujours été fidèle à la tradition classique qui m’a formé en tant que danseur. Peut-être est-ce pour cette raison que j’ai l’étiquette de chorégraphe néoclassique. Mai j’ai été aussi toujours attentif à la sensibilité de mon public, à la recherche de contenu et d’un langage gestuel riche et innovateur pour tous mes ballets. Dans Magifique, oeuvre qui s’inspire des plus grands ballets classiques, j’ai parfois adopté l’ironie ; dans Une dernière Chanson (Grand Prix de la critique de danse 2012), j’ai fait revivre romances et chansons de la France d’autrefois ; dans Roméo et Juliette, j’ai réadapté la tragédie des Capulets et des Montaigus en m’inspirant de la spiritualité de la musique de Berlioz et avec Cendrillon, ma dernière création, j’ai essayé d’entrer dans l’esprit de ce personnage de conte féminin. Qui parmi nous n’a pas l’aspiration à la beauté, à l’équilibre, à la lumière ? Je cherche toujours à créer des ballets qui soient des oeuvres d’art, qui soient capable de surmonter la réalité et ainsi, dans une certaine mesure, sembler fausses. Je crois que c’est ça la valeur de l’art.

Quelles sont, à votre avis, les tendances du panorama chorégraphique d’aujourd’hui ?

J’ai l’impression qu’on veut détruire le patrimoine historique ; je pense au contraire qu’il faut le défendre en en reconnaissant toute la valeur. La tendance actuelle est de proposer des spectacles où  » le corps du danseur  » n’existe plus dans le sens qu’il devient  » un corps ordinaire « . Et la danse devrait rester l’art corporel par excellence. On va vers une danse trop conceptuelle ; c’est aussi le système qui la promeut. Dans le passé, on regardait ces mouvements d’avant-garde à la marge essentiellement pour s’inspirer (voir l’expérience d’Isadora Duncan ou Loie Fuller). Aujourd’hui c’est le contraire. La marge est devenue officielle et le traditionnel est mis à côté. Surtout en France, j’ai l’impression qu’on veut effacer la tradition. Je pense que les deux dimensions peuvent très bien cohabiter, et bien que je sois un chorégraphe  » néoclassique « , j’apprécie aussi Claude Brumachon qui a été toujours réputé comme un des chorégraphes de rupture. Et en regardant à l’international, par exemple le Royal ballet travaille avec l’esprit ouvert pour intégrer la modernité dans le classique, ou bien des chorégraphes comme Christopher Wheeldom ou Ratmansky arrivent à utiliser un langage classique mais avec un regard d’aujourd’hui.

Vos projets pour l’avenir ?

Le mois de juillet 2014 il y aura un spectacle dans le grand théâtre de Pau (3000 places) qui réunira les trois plus grandes compagnies du Sud-Ouest : avec le Malandain Ballet Biarritz, il y aura le Ballet du Capitol de Toulose et l’Opéra de Bordeaux, accompagnés par l’Orchestre National de Pau.

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