Rodin et la danse

Du 7 Avril au 22 Juillet 2018

Musée Rodin, Paris

Evoquer l’essence même de la danse qu’est le mouvement expressif traduit par le dessin et la sculpture de Auguste Rodin (1840 – 1917) est le thème de cette exposition très riche et unique.

Rodin est fasciné par le renouveau de cet art en lien avec l’engouement pour le style antique grec, à la charnière et au début du 20ème siècle, loin des ballets blancs romantiques classiques et convenus qui ne retiennent pas son attention.

Cette exposition est un véritable « petit bijou » par la délicatesse et l’intensité des œuvres présentées et par leur grand nombre.

 Rodin côtoie des artistes charismatiques pour leurs innovations audacieuses ou leur exotisme asiatique, dont les portraits sont présentés aux visiteurs :

  • L’américaine Loie Fuller manie d’amples voiles colorées par des rampes électriques récemment inventées.
  • Isadora Duncan, elle aussi américaine, propose une « danse libre », pieds nus et en tunique légère, en harmonie avec la Nature.
  • La danseuse et acrobate française Alda Moreno est « le petit modèle » de nombreuses œuvres en posture cambrée, à l’écart, en arabesque…
  • La danseuse espagnole Carmen Damenoz séduit par le drapé de ses châles colorés.
  • L’actrice japonaise Hanako (en tournée en Europe) pose pour Rodin.
  • Les danseuses indonésiennes (en tournée, en 1889) et cambodgiennes du Ballet royal (visite officielle du roi, en 1903) en représentations à Paris et Marseille sont l’objet d’une centaine d’esquisses sur le vif, restituant l’ondulation des bras et le délié raffiné des doigts.
  • Vaslav Nijinski, des Ballets Russes de Diaghilev, chorégraphie (tel un bas-relief, sans profondeur, sans sauts) et interprète du l’Après-midi d’un faune (1912) autour du désir (pour la Grande Nymphe) et de l’onanisme (dans un spasme final allongé sur le voile perdu par celle-ci), pièce scandaleuse par sa « bestialité érotique » pour les uns et remarquable pour des artistes dont Rodin qui défend la « Rénovation de la danse » et cette créativité où « le corps tout entier signifie ce que veut l’esprit ».

Rodin prouve son goût éclectique, par ses collections, pour les danses anciennes (objets, reliefs ornés de scènes dionysiaques avec ménades et satyres…), le cancan des cabarets et autres « excentricités de la danse » (journaux), les danses orientalistes de Ruth Saint Denis (photos), la danse folklorique comme la bourrée, mais aussi pour les formes voluptueuses déhanchées des divinités hindoues Shiva enlaçant sa compagne Parvati, aiguisant ainsi son plaisir et son imaginaire. 

Ces rencontres artistiques et mondaines de Rodin introduisent le public dans la modernité de son époque et dans son univers émotionnel. Les salles suivantes déploient l’immensité de son travail, centré sur la saisie du corps en état de danse.

Légèrement voilé dans les esquisses des artistes cambodgiennes, le corps dansé de Rodin est essentiellement nu et féminin. Il s’offre, croqué sous tous ses angles de vue même les plus intimes, pris dans la sensualité d’attitudes accroupies, renversées, archées, faisant « le pont » ou « le poirier » acrobatique, saisi dans l’instant et par l’œil de Rodin qui ne regardait pas sa feuille en dessinant (crayon, aquarelle, lavis d’encre, rehauts de blanc, de traits de plume…). 

Le corps de chair et de muscles est aussi matériau, modelé par Rodin. Il est boursouflé par l’effort, en torsion, dans la petite sculpture Nijinski (plâtre, 1912) ; puissant dans l’élan de Mercure avec draperie (plâtre vers 1912) ; impudique et bondissant dans l’espace comme soustrait à la gravité avec Iris messagère des dieux » (étude, plâtre 1891).

Surtout, les 13 petites sculptures en terre cuite (et dessins) – série dite « Mouvements de danse » -, jamais exposées par Rodin qui les gardait dans son atelier pour ses recherches, en partie faites avec la modèle Alda (de 1903 à 1912), révèlent les possibles du corps dansé dans l’énergie, l’élévation, la souplesse, la grâce, l’équilibre. Les statuettes sont conçues à partir de deux mouvements-clés du « haut du corps α » et du « bas du corps ß » (nomenclature du musée) composés d’« abattis » (fragments de corps moulés) ; l’assemblage varié des abattis se déclinent en diverses figures de danse répertoriées (A, B, C, D, E…) que l’on peut disposer dans des spatialités différentes (le même grand écart soit vertical, soit au sol). Ces figures sont réalisables par les danseuses, démontrant la sensibilité extrême de Rodin à l’égard de la perception synthétique du mouvement dansé et de ses tensions dynamiques qu’il comparait au jeu stabilisant des forces contraires en architecture (l’arc-boutant).

 « Comme le corps parle plus loin que l’esprit ! » énonce A. Rodin, qui sait que la danse est langage.

Le public peut prolonger cette plongée corporelle et poétique par une promenade méditative dans l’esthétique jardin du musée en croisant « Balzac », les personnages de la « Porte de l’Enfer »…

Jocelyne Vaysse

Rodin et la danse, Musée Rodin-Paris, jusqu’au 22 juillet 2018

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