Festival de Danse – Cannes Côte d’Azur : un kaléidoscope de différentes esthétiques

ph.Palais des Festivals - Nathalie Sternalski
Le Festival de danse – Cannes Côte d’Azur, dirigé par Didier Deschamps, se confirme être une manifestation ouverte aux différentes esthétiques présentes dans le panorama chorégraphique international. Dans les soirées des 29 et 30 novembre derniers de cette XXVè édition, le Junior Ballet de l’Opéra national de Paris et les chorégraphes Mickaël Le Mer, Hervé Koubi et Rocío Molina ont offert au public la possibilité d’assister à quatre spectacles aux énergies et aux langages complètement diversifiés.
Le Junior Ballet de l’Opéra national de Paris
Le Junior ballet de l’Opéra de Paris, la compagnie de vingt-quatre danseurs entre 18 et 23 ans créée par José Martinez, s’est produit avec quatre pièces : l’Allegro Brillante de George Balanchine sur les musiques de Tchaïkovski, Cantate 51 de Maurice Béjart sur la musique de Jean-Sébastien Bach, Requiem for a Rose de Annabelle López Ochoa sur la musique de Franz Schubert et Mi favorita de José Martinez sur la musique de Gaetano Donizetti.
La jeune compagnie s’est montrée plus à l’aise dans l’interprétation de Requiem for a Rose, pièce qui par ailleurs avait été présentée lors de la soirée d’ouverture de la saison 25/26 de l’Opéra national de Paris. Le style balanchinien, avec sa classicité demandant la maîtrise parfaite de la technique académique, ne semble pas être incarné à la perfection par les jeunes danseurs qui ont dansé correctement mais sans éclat.
Cantate 51 a pu montrer les capacités interprétatives des deux jeunes danseuses, particulièrement remarquables pour leur brio et l’exécution des séquences chorégraphiques rapides. La jeune interprète principale a besoin de mûrir pour atteindre la profondeur requise de son rôle. En l’on connaît combien Maurice Béjart était très attentif à créer un lien direct entre la spiritualité de la musique et la chorégraphie qui doit dépasser la simple exécution des mouvements pour révéler un univers intérieur.
Requiem for a Rose est une pièce de style néoclassique, avec de belles séquences de groupe qui se succèdent en alternant des duos et des trios bien exécutés. La figure féminine principale qui ouvre le ballet avec son solo contemporain et poétique dégage une atmosphère mystérieuse et intime.
Mi favorita de José Martinez exalte la technique classique. Elle est dansée avec brio ; elle réserve des moments teintés d’ironie qui permettent d’alléger l’atmosphère et de montrer la jeunesse d’esprit de la compagnie capable de danser le classique autrement.

Requiem for a rose-ph.Julien Benhamou
ENSO – Boléro de Mickaël Le Mer
Depuis sa première création In Vivo de 2007, le chorégraphe avait toujours su offrir des pièces où le hip-hop, style qui l’a formé, évoluait en s’en enrichissant avec un langage plus contemporain et poétique. Pour cette nouvelle création, il défit la musique du Boléro de Maurice Ravel que le public retrouve seulement dans la partie finale de la pièce.
Enso fait référence au symbole de la calligraphie bouddhiste, un cercle ouvert qui s’épaissit au fur et à mesure jusqu’à s’arrêter pour ensuite donner l’impression de reprendre et récréer un cycle infini. On retrouve cette circularité dans les scènes de groupe de la première partie de la pièce qui respectent les codes du hip-hop avec son énergie, ses mouvements puissants et son rapport au sol. Cela reste constant et parfois accentué par la répétitivité des gestes.

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Soudainement les notes du Boléro de Maurice Ravel commencent à résonner sur le plateau. Mickaël Le Mer conçoit une chorégraphie statique où les danseurs placés sur scène, sont éclairés par des phares.
Le chorégraphe, grâce aux jeux des lumières, met l’accent surtout sur les mouvements des mains qui marquent le rythme.
Le crescendo du Boléro implique en parallèle l’augmentation du nombre des danseurs appelés à former la choralité du groupe en écho au nombre des instruments qui entrent en jeu dans la musique. Si les intentions de Mickael Le Mer laissaient prédire une pièce harmonieuse, celle-ci se révèle discontinue à cause de l’absence d’un vrai lien entre la première partie et la deuxième. La rupture totale de sa structure casse l’unité de la pièce, où la partie sur le Boléro semble être dissociée du reste.

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No Matter – Compagnie d’Hervé Koubi
Pour sa présence au festival, le chorégraphe a voulu offrir un spectacle réunissant la pièce Boys don’t cry pour sept danseurs et deux nouvelles créations, Nuit Blanches et Take Back the night pour dix danseuses coréennes. Si le propos rassemblant ces trois pièces demeure dans l’affirmation de sa propre personnalité indépendamment de toute question de genre ou d’origine, le spectacle se révèle trop dense et trop long, du des parties n’apportant rien de plus à son contenu.
L’univers onirique de Nuit Blanches, où les danseuses, d’abord aux semblances animales, se métamorphosent en créatures agressives est en même temps très poétique, constitué de séquences lentes qui se transforment en actes de guerre. La force féminine s’affirme sans équivoque. En opposition, Boys don’t cry questionne l’identité masculine et les clichés qui caractérisent leur univers, notamment la passion pour le football en contraste avec l’envie de danser. Les sept danseurs musclés représentent la vigueur masculine mais, en réalité, ils cachent leurs vraies personnalités et les désirs de chacun de suivre leurs vocations.
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Take Back the night voit le retour en scène des dix danseuses coréennes dans un univers pop-rock créé par les musiques live du duo Dear Deer. La puissance de leurs partitions inspire les interprètes qui se déchaînent sur scène. On est bien loin de l’atmosphère de Nuits Blanches, ici le registre est complètement différent et sans mystère. Elles traversent le plateau, sautent, gesticulent, conduisant le public vers un épuisement visuel. Pour des prochaines représentations, Hervé Koubi devrait revoir cette partie finale redondante malgré son intensité.

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Calentamiento de Rocío Molina
Rocío Molina enchante le Palais des Festivals avec son récit chorégraphique, Calentamiento (Echauffement) en se livrant à une performance hors norme. Elle révèle sa riche personnalité et son attachement à l’art du flamenco. Elle a su le faire évoluer en dépassant la vision traditionnelle de la danse typique espagnole basée sur le zapateado pour la faire devenir un moyen d’expression plus personnel qui touche par sa sincérité.
Dans cette nouvelle pièce, l’artiste s’adonne pendant trente-cinq minutes à un entraînement épuisant : rythme en crescendo, puissance des jambes accompagnés par un récit où elle affirme de ne jamais vouloir s’arrêter, au risque de ne pas recommencer. Elle dévoile aussi quelques éléments techniques qu’elle affine pendant son échauffement, notamment le rôle différent des deux jambes. Elle ne cesse jamais, son corps s’échauffe jusqu’à atteindre un état de transe.

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Et c’est à ce moment que la personnalité étonnante de Rocío Molina commence à créer un univers irréel poussé aux extrêmes. Ses désirs de femme, ses interrogations, ses peurs apparaissent sans filtres. Elle est accompagnée sur scène par le ballaor et cantaor José Manuel Ramos « El Oruco » qui partage et accentue sa force.
Elle sème le chaos sur scène, toujours caliente, de plus en plus transgressive et sans limites. Elle se révèle une excellente performeuse en habillant son corps avec des chaises métalliques empilées les unes sur les autres à partir de ses bras. Le final est explosif et l’artiste entraine le public à partager sa passion ; tout le bagage artistique de son flamenco retient les spectateurs et les convient à ne pas quitter la salle…Magnétique, reine du plateau, Rocío Molina s’affirme encore une fois en artiste exceptionnelle !

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Le succès du festival est confirmé : à partir de l’an prochain, la manifestation aura un rythme annuel au lieu que biennal.
Cannes, 29-30 novembre 2025
Antonella Poli

