Kyliàn Festival : Wings of Time

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La personnalité de Jiří Kyliàn résonne depuis plus de 40 ans dans le monde de la danse. Il s’est imposé dans l’univers chorégraphique comme l’un des grands chorégraphes du XXIe siècle grâce à sa sensibilité musicale et à son langage néoclassique, enrichis par une réflexion profonde sur les émotions humaines, la vie et le temps. Il est un poète du mouvement !

Pendant 24 ans, il a fait rayonner le Nederland Dans Theater en tant que Directeur artistique et du 29 mai au 14 juin 2025 l’Opéra national de Norvège lui consacre le festival Wings of time, une manifestation pluridisciplinaire qui valorise les qualités artistiques de Jiří Kyliàn, en tant qu’auteur d’une Gesamtwerk. Les ballets, les installations, les films présentés pendant le festival en témoignent.  « Une exposition aussi complète de mon travail n’a jamais été présentée auparavant et n’aura certainement plus jamais lieu », reconnaît Jiri Kyliàn.

Une reconnaissance particulière va sans doute à Ingrid Lorentzen, directrice du Ballet national de Norvège qui a promu l’idée de Wings of time. A remarquer aussi l’étroite collaboration artistique du chorégraphe avec l’Opéra national de Norvège témoignée par ailleurs par la soirée composée d’œuvres de Kyliàn, Worlds Beyond, organisée pour l’inauguration du nouvel Opéra en 2008 et les vingt-sept ballets présentés jusqu’à aujourd’hui avec la compagnie norvégienne.

La programmation chorégraphique

Quant à la programmation chorégraphique du festival, le Ballet national de Norvège présente deux programmes : Day before Tomorrow, composé par Bella Figura, Wings of Wax, Gods and Dogs et Day after Yesterday avec Forgotten Land, No more Play, Petite Mort et Symphonie des Psaumes.

En particulier nous avons suivi ce dernier programme, accompagné par l’orchestre national de l’Opéra de Norvège et son Chœur. Les interprètes du Ballet national de Norvège ont su revivifier ces œuvres en sachant représenter la palette des émotions qui y sont contenues. Les relations homme-femme et leur lien avec la terre caractérisent Forgotten Land, sur la musique de la Sinfonia da Requiem de Benjamin Britten. Elles apparaissent à la fois contrastées ou plus harmonieuses et tracent leurs évolutions dans nos différentes étapes de la vie.

Le tableau d’Edward Munch Dance of Life (1899) fut aussi l’une des sources d’inspiration de la pièce.  Des duos se succèdent sur scène en creusant les sentiments, dont l’expressivité trouve un parfait allié dans la pureté du style de Jiří Kyliàn qui, malgré son exigence de perfection, laisse justement la place à la sensibilité des danseurs.

No more play est une pièce plus énigmatique et abstraite. Le rythme pointilleux et les sonorités mystérieuses de la musique d’Anton Webern inspirent une gestuelle tournée vers la création d’une beauté plastique des corps qui ne néglige pas, dans certains passages, des duos ou des trios où les danseurs créent des dialogues et laissent ouverte au public la porte de l’imagination vers des liens sociaux et affectifs possibles.

No more play-ph.Joerg Wiesner

Petite Mort de Jiří Kyliàn est l’un des ballets des plus réussis du chorégraphe tchèque caractérisé par une harmonie et une élégance parfaite et même dans ce cas les danseurs ne manquent pas d’être au rendez-vous.

L’écriture chorégraphique raffinée permet d’aborder les thèmes de la vie et de la mort, encore une fois en explorant de manière presque érotique les rapports homme-femme.

Le titre Petite Mort, qui en français signifie aussi orgasme, ouvre le champ permettant de saisir toute la sensualité présente dans ce ballet. Malgré la valeur symbolique sexuel-sensuel présente dans les pas de deux, ceux-ci restent extrêmement délicats. Les corps des danseurs sont presque des créatures spirituelles dans leurs simples effleurements. Elles se touchent sans jamais entrer vraiment en contact, un grand sens de légèreté les domine. En même temps, la chorégraphie acquiert aussi des qualités aériennes grâce aux différents lifts qui se succèdent. Un des moments les plus forts de l’entière pièce se trouve à la fin de la première partie du ballet : un acte d’amour est rendu de manière très simple et intense car, contrairement à l’habitude, c’est interprète masculin qui s’abandonne complètement en lassant aller sa tête en arrière.

Mais Petite Mort est aussi un ballet remarquable par sa musicalité. En fait il est le résultat d’un travail méticuleux sur les corps des danseurs et sur la musique de Mozart. Chaque note de l’Andante du concerto n.21 pour piano et orchestre et de l’Adagio n.23 du concerto pour piano et orchestre de Mozart se matérialise à travers les mouvements des danseurs. On a l’impression que les notes musicales se transforment en images dansées. Un éloge doit être particulièrement reconnu à l’Orchestre de l’Opéra national de Norvège pour avoir su saisir la parfaite alchimie entre la musique et le mouvement, en accentuant ses amplitudes.

Le programme s’est clos avec Symphonie des Psaumes. La musique éponyme de Stravinsky donne encore plus de force à cette œuvre qui est devenue l’un des chefs-d’œuvres du chorégraphe tchèque. Huit danseuses et autant de danseurs exécutent les séquences à un rythme soutenu. C’est toute la ferveur religieuse qui avait animé le compositeur russe au moment de sa création qui prend forme, sous l’élan magnifique des interprètes capables de rendre cette pièce comme un voyage spirituel.

Symphonie des Psaumes-ph.Joerg Wiesner

Les installations

Le public qui se rend à l’Opéra national de Norvège peut aussi s’immerger dans la créativité de Jiří Kyliàn à travers les installations présentées.

La première dans son genre, Moving Still montre huit mannequins suspendus, créés à partir de corps vrais de danseurs en mouvement, qui traversent les vitraux de la façade de l’édifice. Ils créent un mouvement naturel entre l’espace intérieur et l’extérieur : pour les spectateurs qui les regardent de l’extérieur, c’est une invitation à rentrer et à profiter de la danse ; pour ceux qui les regardent de l’intérieur, c’est une métaphore pour se projeter vers l’infinitude des espaces que le corps humain pourrait créer.

Moving Still-ph.Ilja-Hendel

En entrant par la porte du back stage, le public atteint Moving on, un couloir de miroirs qui conduit les spectateurs vers les lieux des autres installations, accompagnés par la musique de Nils Petter Molvær.

La troisième, Free Fall est un hommage à l’épouse et muse de Jiří Kyliàn, la danseuse Sabine Kupferberg. Ses portraits, qui la représentent de face et de dos, valorisent ses pouvoirs expressifs et stimulent l’imaginaire que sa personnalité peut dégager.

La quatrième Ensō (cercle en japonais) évoque le symbole japonais Zen Buddhist Il est tracé sur le sol et représente la cerce de la vie avec tous ses moments de discontinuité.

 L’installation est complétée par un miroir d’un côté noir et de l’autre blanc qui tourne sur lui-même à un rythme constant, éclairé par une lumière à arrière. Le mouvement circulaire du miroir, créée ainsi des reflets qui changent selon les directions de la rotation du miroir. La musique d’Arvo Pärt qui l’accompagne favorise une ambiance hypnotisante et ouvre à la reflexion sur la dimension fugitive du temps.

La créativité éclectique et le regard profond que Jiří Kyliàn pose sur l’homme, sans manquer d’ironie, apparaissent aussi dans les quatre films muets originaux présentés pendant le festival : Between entrance and exit, Schwarzfahrer, Scalamare et Car-Men.

 En discutant avec Jiří Kyliàn, c’est naturel qu’un sentiment de nostalgie le touche. Sa versatilité et sa sensibilité lui suggèrent encore mille idées…. Profitons de l’instant présent et de tout ce que Wings of time peut nous offrir, un régal !

Oslo, Opéra national, 31 Mai 2025

Antonella Poli

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