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Avec 30 compagnies programmées et 90 événements, la 32ème édition du Festival Le Temps d’Aimer s’ouvre aujourd’hui et c’est tout Biarritz, avec une dizaine de villes qui accueillent des spectacles en lien avec des institutions partenaires, qui célèbre l’art chorégraphique. Dans son discours d’entrée à l’Académie des beaux-arts, en avril dernier, son Directeur artistique Thierry Malandain déclarait : « La danse est communément l’expression de la joie puisque, en temps de paix, le bonheur est ce qui se partage le mieux d’une personne à l’autre, d’un pays à l’autre ». Et le caractère éclectique de la programmation du festival, qui offre toujours une grande variété de styles chorégraphiques et qui s’ouvre aux espaces publics, se confirme encore cette année : du Ballet X de Schwerin (Allemagne) au Ballet du Grand Théâtre de Genève, du Ballet Preljocaj à l’Opéra National de Bordeaux, de MarieClaude Pietragalla au très contemporain François Chaignaud, Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, Martin Harriague et bien sûr le Malandain Ballet Biarritz, juste pour ne citer que ceux-ci.
Focus sur les trois spectacles qui marqueront les journées d’ouverture : Mythologies d’Angelin Preljocaj (8 et 9 septembre au Théâtre de la Gare du Midi) ; Starlight de Martin Harriague (9 septembre au Théâtre du Colisée) ; Les élucubrations de Toinette de Claude Brumachon et Benjamin Lamarche (9 septembre, Villa Natacha). Trois univers chorégraphiques qui interrogent au travers de la danse la compréhension et la représentation de la nature humaine sous ses différentes facettes.
Mythologies

Pièce pour dix danseurs du Ballet de l’Opéra de Bordeaux et dix du Ballet Preljocaj, Mythologies est la dernière création d’Angelin Preljocaj créée à l’Opéra national de Bordeaux en juillet dernier, avec la partition musicale pour orchestre de Thomas Bangalter. Le chorégraphe français oriente cette fois ci son attention vers les figures mythologiques de l’Ancienne Grèce jusqu’à d’autres plus modernes, notamment le catch analysé par le sémiologue Roland Barthes dans son ouvrage Mythologies où le philosophe français analysait les formes de représentation et la structure des mythes dans l’ère contemporaine.
Le ballet se développe par tableaux successifs faisant référence notamment aux mythes du Minotaure, de Persée et les Gorgones, d’Icare ; aux figures de Zeus, d’Aphrodite, des Amazones, sans oublier Le catch auquel Roland Barthes avait consacré un chapitre dans son ouvrage.
La chorégraphie, avec tous les éléments typiques de son langage caractérisé par la rigueur du geste et par une expressivité qui se dégage au travers d’une vision globale des différents mouvements exécutés sur scène, pourrait représenter une sorte d’anthologie du « style Preljocaj ».
Les sujets représentés dans cette création, quelle que soit leur forme, narrative ou évocatrice de figures mythologiques, abordent des thèmes universels auxquels l’humanité est confrontée : la guerre, la lutte, l’amour, le désir de puissance… D’ailleurs, une des fonctions originaires du mythe fut exactement celle d’incarner les attitudes humaines pour les rendre sous des formes plus réelles, compréhensibles à la plupart des populations. Les conceptions mythiques furent à la base de la naissance de la pensée philosophique autour de nos origines et de l’évolution de notre conscience, comme le soulignait le philosophe Ernst Cassirer (Philosophie des formes symboliques, La pensée mythique, 1925).
On retrouve des solos, des duos et des grandes scènes d’ensemble, tous surprenants par leurs registres et nuancés par une gestuelle changeante qui s’adapte au fur et à mesure. Des scènes puissantes alternent avec d’autres plus délicates et angéliques, ou encore le dynamisme caractérisant certains tableaux est soudainement remplacé par la poésie et l’intensité des mouvements interprétés de manière plus réflexive et moins impétueuse. Une vaste palette de couleurs chorégraphiques arrive à créer des textures corporelles différentes, un kaléidoscope d’images dansées capables de nous toucher, de nous faire réfléchir ou d’en jouir. La danse revivifie les messages des anciens mythes.
Lors de la réédition des Mythologies en 1970, revenant sur les supports de l’analyse mythique (un article de presse, une photographie d’hebdomadaire, un film, un spectacle, une exposition), Roland Barthes avait affirmé : « […] l’image est certes plus impérative que l’écriture, elle impose la signification d’un coup, sans l’analyser, sans la disperser ». Or, l’élaboration réussie de ce ballet s’inscrit comme signe dans la continuité de l’analyse du sémiologue français. La danse d’Angelin Preljocaj enrichit ce qui pour Roland Barthes constituait le matériel signifiant d’une œuvre, c’est-à-dire la forme sous laquelle une idée ou un concept se manifeste et fait sens. La richesse dansante que le public aperçoit tout au long de l’heure et demie du ballet est le résultat d’une construction méticuleuse de chaque passage où le moindre détail est mis en valeur.
Mythologie exprime une modernité de langage et des visions qui puisent dans les anciennes coutumes de l’être humain ; et le public ne pourra que sortir comblé de la salle du Théâtre de la Gare du Midi de Biarritz.

Starlight
Martin Harriague, chorégraphe associé du Malandain Ballet Biarritz et vainqueur en 2016 du Concours Jeunes chorégraphes, présentera sa création Starlight, un solo, format inédit pour lui.
Au travers de cette pièce introspective où il voyage dans le temps à partir de son enfance (la présence de la voix de sa mère en tant que sa créatrice), il se concentre sur sa vision du mouvement en essayant de retrouver et de partager avec le public les sources de sa sensibilité artistique. Après avoir chorégraphié pour plusieurs compagnies internationales, notamment le Malandain Ballet Biarritz, la Kibbutz Contemporary Dance (dont il a fait aussi partie en tant que danseur), le Hessian State Ballet de Wiesbaden et le Leipzig Ballet, l’artiste de 36 ans veut aujourd’hui se retrouver lui-même, loin des références à ses engagements politiques et écologiques dont ses œuvres précédentes étaient ponctuées. Starlight nait d’une exigence intérieure et constitue un questionnement presque psychologique du chorégraphe sur sa personnalité d’artiste, une occasion de reprendre sa liberté et de laisser parler son instinct pour aller à la rencontre du public. Néanmoins, sa mémoire corporelle lui rappelle consciemment et inconsciemment des gestes d’autres chorégraphies car ils incarnent un propos spécifique, ou se rapportent à des souvenirs. Parfois il se laisse aller à l’improvisation, notamment sur les musiques qui évoquent Israël. Sur les propos de Starlight, création où dance, musique et les textes de Thibault Seguin et Alex Lutz dialoguent entre eux, Martin Harriague parle avec son cœur comme avec ses gestes, incarnation de son parcours :
« Depuis le concours j’ai créé des ballets pour différentes compagnies (de 5 a 26 danseurs), et pendant le travail de ces années je me suis rendu compte que je perdais la compréhension du mouvement, pas, bien sûr, par la faute des danseurs. Leur interprétation, la transmission au fil de temps, m’éloignaient de l’essence originaire. Le solo a requis une remise en forme, m’a demandé de réapprendre à travailler avec moi-même, de me confronter à nouveau avec le miroir, d’apprendre des textes qui demandent beaucoup de concentration différente de celle requise pour danser, un exercice difficile auquel je voulais me confronter depuis un moment.
Je veux mettre en scène ce qui m’a nourri tout au long de ma carrière. A partir de ma passion envers Michael Jackson, mon modèle, qui m’a d’une certaine manière initié à la danse et m’a transmis l’envie d’être danseur et chorégraphe, vu ses multiples qualités. Je suis parti de mes souvenirs de jeunesse, quand j’imitais Michael Jackson, mais je les ai perfectionnés, au travers aussi d’une recherche qualitative du geste.
Je pense que la personnalité d’un artiste se déroule sur trois niveaux : ce que le public perçoit, ce que l’artiste ressent et ce qu’il est réellement, compréhension très complexe. Starlight est une expérience de vie qui ne se terminera pas avec cette création, malgré les contraintes exigées par les autres productions futures. Je danse, je chante, je récite des textes mais je garde aussi l’humour et un peu de sarcasme dont j’aime nourrir mes pièces. Cette création a constitué un challenge pour moi ».
Les Elucubrations de Toinette
Le titre nous fait penser bien sûr à la servante d’Argan du Malade Imaginaire de Molière, mais ces « élucubrations », signées par Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, vont bien au-delà. En fait, leurs qualités chorégraphiques, bien connues depuis longtemps, leur permettent d’utiliser le langage de la danse pour peindre les différents caractères des personnages des œuvres de Molière, incarnés par les six danseurs en scène. Ce sera au spectateur de se plonger dans cette pièce très rythmée, aux changements de scène et de costumes rapides, aux musiques qui alterneront des partitions du XVIIème siècle et d’autres de musique techno. En somme, la danse fait vibrer et réinvente le théâtre à la Villa Natasha de Biarritz au travers seulement les gestes et les mouvements, sans texte. Claude Brumachon nous a livré quelques précisions sur cette nouvelle création qui sera dansée comme d’habitude avec beaucoup d’énergie mais qui sera aussi festive, solaire et brillante, avec une sensibilité différente de celle qui caractérise habituellement les pièces des deux chorégraphes, plus puissante, animale et aussi brutale. Une envie de se confronter à une nouvelle esthétique de « douceur » que nous pourrons retrouver au prochain festival Faits d’hiver en janvier 2023.
« C’est une pièce unique, un spectacle à cru, sans lumière dans un jardin » – confirme Claude Brumachon.
« Depuis longtemps j’avais envie de créer un tel spectacle, dans la cour d’un château ou dans une villa, une manière de retrouver le côté romantique ou celui des artistes voyageurs qui partent avec leur camion, qui se posent et dansent. D’ailleurs, cet esprit trublion reflète en partie la personnalité de Molière.
En 2008 j’avais déjà créé une pièce en m’inspirant de l’univers de Molière, Histoire d’un corps visionnaire, qui était différente de celle-ci aussi par le cadre. La figure de Toinette est en parallèle avec les personnages de Scapin et d’Argan que j’interprète. Les autres quatre danseurs sur scène s’alterneront avec une grande dynamicité, à un rythme soutenu, aussi pour faire face aux multiples changements de masques, costumes, qui se dérouleront face au public ; tout est à vif. En réalité, la pièce incarne la vision du caléidoscope de la nature humaine présent dans les œuvres de Molière. Les mouvements permettront de tracer les traits caractéristiques des différentes personnalités. Je me suis en fait posé la question : comment pourraient bouger un avare, un misanthrope, ou une amoureuse si les écrits de Molière n’existaient pas ?… Les personnages principaux de Toinette et Scapin/Argan créent les liens avec tous les autres, une cinquantaine, que le public pourra s’amuser à reconnaitre, oubliés au fil du temps. C’est comme une boite aux trésors qu’on ouvre et d’où, d’un coup, jaillissent tous les personnages les uns derrière les autres ».
A retrouver après le Festival Le Temps d’aimer le 11 septembre à Château de Bel Air – Vertou (44) ; le 23 septembre :Parc de la Guierle, Brive- L’Empreinte, Scène nationale Brive Tulle ;
le 24 septembre : Jardin de la mairie, Tulle – L’Empreinte, Scène nationale Brive Tulle

ph. Jc Carbonne

Revue sur la danse et le ballet

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