Ashton/Eyal/Nijinsky

Chorégraphie : Frederick Ashton, Sharon Eyal, Vaslav Nijinsky (recréation et adaptation par Dominique Brun)

Distribution : Les étoiles, les premiers danseurs et le Corps de Ballet de l'Opéra de Paris

Musiques : Serguei Rachmaninov, Claude Debussy, Igor Stravinsky

Faunes, ch.Sharon Eyal-ph.Yonathan Kellerman

La Russie et en particulier la figure de Vaslav Nijinsky inspirent la soirée présentée par le Ballet de l’Opéra national de Paris : une création de Sharon Eyal, Faunes, évoquant le titre de la célèbre pièce du chorégraphe russe, L’après-midi d’un faune et Le Sacre du Printemps (1913) sont à l’affiche. Les deux ballets du chorégraphe russe marquèrent une rupture totale avec le classicisme en vigueur à son époque, provoquant de violentes réactions contrastées allant de la détestation à l’admiration pour ce génie créateur d’avant-garde, « père de la danse moderne ». Le programme est complété par Rhapsody de Frederick Ashton, qui débuta sa carrière avec Leonide Massine, intégrant successivement la compagnie d’Ida Rubinstein où il observa le travail de Nijinska, puis les Ballets Rambert et enfin le Royal Ballet anglais.

Rhapsody, fut créée en 2015 avec le Royal Ballet à Londres à l’occasion du 80ème anniversaire de la Reine Mère Elizabeth Bowes-Lyon.

Ce ballet, danse colorée et chaleureuse, témoigne de la permanence et de la pureté du vocabulaire académique, de la rigueur des enchainements rythmés, marqués par des entrées et sorties de scènes harmonieuses qui créent une diversité de tableaux : des soli, des duos et des évolutions réglées en groupe, sur la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov. L’étoile Ludmila Pagliero excelle sur son partenaire soliste, Pablo Legasa, de par son élégance et sa virtuosité surtout dans les passages plus rapides qui requièrent une grande maîtrise du corps.

La création Faunes de Sharon Eyal, ancienne danseuse et collaboratrice artistique de la Batsheva Dance Company, renvoie à L’après-midi d’un faune de Vaslav Nijinsky par son titre, par la musique Préludes à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy et par sa courte durée de douze minutes.

Sharon Eyal rompt totalement avec la tradition. Elle met en scène huit danseurs, démultipliant le Faune imaginé et dansé par Nijinsky lui-même, aux silhouettes soulignées dans leurs justaucorps tachetés. Elle les fait danser en demi-pointes se déplaçant en quatrième position plié. Tous alignés, frémissants dans de longues diagonales à l’unisson et autres trajets scéniques, ces faunes hédonistes proposent des mouvements fébriles, des attitudes cabrées et des bras angulaires, sans jamais évoquer les postures mythiques du Faune originaire, sans apercevoir les nymphes apeurées aux déplacements linéaires sans profondeur (dansée à l’époque entre autre par sa sœur Bronislava Nijnska), sans la Grande Nymphe à l’origine de son désir exacerbé, phallique, exprimé dans un spasme final érotisé.

Au contraire, Sharon Eyal nous propose des créatures « neutres », adoucies, capables d’intérioriser leurs instincts. Ce choix nous surprend car la chorégraphe nous a habitué à des pièces puissantes, où les corps envoûtants expriment une forte énergie comme ce fut le cas dans les différents chapitres de OCD Love.

Le ballet se termine sur un amalgame des corps, agités par un piétinement commun, sorte d’excitation subtile et légère, reflet d’une certaine animalité, offensant nullement « le goût et la décence » des mœurs, à l’opposé de celles du début de XXème siècle.

Le Sacre du printemps, de retour sur la scène de l’Opéra depuis sa dernière programmation en 1995, est présenté dans sa forme chorégraphique conçue par Vaslav Nijinski, recréée et adaptée par Dominique Brun qui fait revivre Le Sacre d’origine sur la musique de Stravinsky, ré-animant la représentation donnée au Théâtre des Champs-Elysées en 1913, dans les costumes de Nicolas Roerich, selon 2 actes l’un de jour « L’adoration de la Terre », l’autre de nuit « Le sacrifice ».

Le ballet est une célébration païenne du printemps où une vierge – l’Elue – glorifiée par des adolescentes aux jeux mystiques à la recherche de la Grande Voie – sera sacrifiée. La danse sacrale, solo épuisant, symbolisant les liens universaux ciel – terre, était dédiée à sa sœur Bronislava qui, enceinte, ne pût l’exécuter. La force conceptuelle et universelle du Sacre, mal perçue, fait retirer le ballet du répertoire après 8 représentations. Il faut attendre 1987 pour l’apprécier grâce au travail de reconstruction de Millicent Hodson* à Los Angeles (USA).

L’intelligentsia de son époque reconnaît dans le Sacre une œuvre autant audacieuse que polémique. Le scandale -historique- est à la mesure du choc esthétique : costumes folkloriques aux couleurs « criardes », mouvements « agressivement laids, lourds et saugrenus », balancements et tressautements pieds en dedans, piétinements convulsifs du sol… provoquent sifflets et hurlements injurieux obligeant Nijinski – « ce primaire exaspéré » – à crier la mesure depuis les coulisses pour assurer la poursuite de la représentation.

La danse reprend toute sa signifiance dans son déroulement, dans la cérémonie païenne par les évolutions circulaires groupales des Sages et des adolescentes, par les sursauts et sauts, les cris et frappes des pieds, le déchainement de la danse sacrale jusqu’à l’épuisement avec l’acceptation sacrificielle de l’Elue exécutée par l’étoile Alice Renavand qui incarne ce rôle avec intensité, elle qui a été aussi l’une des meilleures protagonistes dans le Sacre de Pina Bausch, œuvre qui la marqua profondément.

Le Sacre du Printemps-ph.Yonathan Kellerman

La dimension « primitive » et ésotérique, la force expressive des corps, est émouvante, largement appréciée par un public enthousiaste. Jusqu’au 2 Janvier 2022

Palais Garnier, 3 Décembre 2021

Antonella Poli

*Hodson, M (1990) : Puzzles chorégraphiques, Reconstitution du Sacre de Nijinsky, Le Sacre du Printemps de Nijinsky, Les carnets du Théâtre des Champs Elysées, Edition Cicéro, 45 – 73.

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