Ballet Preljocaj : Helikopter et la création mondiale Licht
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Distribution : Ballet Preljocaj

Licht-ph.Yang Wang
Le chorégraphe Angelin Preljocaj avec le Ballet Preljocaj offrent une soirée particulièrement riche et audacieuse au Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt à Paris, en couplant la création mondiale Licht avec la reprise de la pièce Helikopter de 2001 en concertation avec le musicien Karlheinz Stockhausen (1928 – 2007).
Rappelons que le compositeur a élaboré de 1977 à 2003 l’œuvre musicale Licht (Lumière), sous la forme d’un long cycle d’opéras musicaux calés sur les jours de la semaine (non conçus dans l’ordre) assortis d’attributs mystiques (couleur, pierre, dieux, cérémonies spirituelle, chrétienne, védique…).
La première partie de la soirée s’appuie sur l’opéra Mittwoch aus Licht (Mercredi de lumière), que l’on reconnaît dans la bande-son Helikopter-Quartet exécutée par le Quatuor Arditti.
Angelin Preljocaj révélait, dans une interview de l’époque, son incapacité première à associer la danse avec la composition superposant turbines d’hélicoptères et musique de synthétiseurs, avant d’accepter rapidement avec jubilation cette audace radicale.
Le bruit des pales en rotation de quatre hélicoptères en survol accompagne les six danseurs. Ils foulent la projection imagée au sol : lignes, effets d’un air brassé animant des cercles et des flottements, alignements numériques bleutés, dus au plasticien Holger Förterer ; ils circulent en de multiples trajets, tournoient avec énergie, déambulent avec des figures robotiques.
Le vrombissement assourdissant des hélices, et quelques stridences, continue d’entrainer la mouvance permanente des interprètes incluant portés inédits et roulades au sol. Aux variations individuelles succèdent des passages à la gestuelle homogène et des regroupements emmêlant des corps en puissance.

Helikopter-ph.Yang Wang
Puis la violence musicale décroit, la dynamique mouvementée ralentit, les projections graphiques se figent en un damier, dans le respect de la synchronisation musique – danse – images. Jusqu’au silence des moteurs et l’arrêt de la chorégraphie avec un bref et lent solo qui s’éteint comme la lumière.
Le public abasourdi exprime son grand plaisir à retrouver cette pièce mémorable, adhérant manifestement à ce commentaire de Angelin Preljocaj : « Le son oppressant finit par créer une sorte de chape de plomb sur les corps… L’idée, c’était de tremper la danse dans cette espèce de texture sonore et voir comment elle allait résister. …La radicalité de la musique oblige à aller à l’essentiel, jusqu’à l’os du mouvement ».
Une vidéo, qui fait la transition avec la création 2025, gratifie l’audience d’une rencontre entre le compositeur Karlheinz Stockhausen et Angelin Preljocaj : leur échange porte sur les points de rencontre de l’esthétique musicale du compositeur inspirée d’une logique codant machines et synthétiseurs et les relations à la création chorégraphique.
La polyphonie temporelle et spatiale se traduit dans la conception des séquences dansées. Ses divers éléments s’articulent comme un langage avec des phrases dansées superposées pour constituer une unité ; telle la diversité humaine et les interrelations des civilisations réunies dans un même système cosmique.
La deuxième partie de la soirée renforce l’hommage au compositeur allemand, Angelin Preljocaj semblant répondre à son message encourageant l’humanité quant à son avenir : « Inventer toujours, …s’autoriser à l’inattendu ».

Helikopter-ph.Yang Wang
La création mondiale Licht
La pièce chorégraphique Licht (2025) fait encore écho à l’œuvre musicale Licht, précisément à l’opéra Sonntag aus Licht (Dimanche de Lumière), une « spirale éternelle » liée à une musicalité « unitemporelle », en résonance avec la partition Helikopter-Quartet.
Une douce luminosité amène le public à distinguer sur fond blanc des silhouettes noires dansantes. Sur une musique originale de Laurent Garnier dans le sillage de Stockhausen, les douze danseurs évoluent sur des images d’eau mouvante, irisée, scintillante sous la lumière.
Angelin Prelocaj a prévenu : « Il s’agit d’une création, très solaire, lumineuse, sorte de métaphore de notre époque qui nous parle de relations humaines ; nous sommes à un point de bascule de notre civilisation, dans une période plutôt sombre, mais j’y vois des lueurs ».
Les artistes se mobilisent, se divisent en deux groupes dans des attitudes provisoirement hostiles. Tensions, bras aux mouvements reptiliens, sauts, agitations saccadées, portés acrobatiques alternent avec des séquences prônant l’altérité avenante et l’amour, tout en maintenant une fluidité remarquable. Une succession chorégraphique de duos témoigne à la fois de leur magnificence inventive, sensuelle et affective et de leur virtuosité posturo-gestuelle. Les couples des danseurs s’observent puis finissent dans une brève marche à l’unisson dos au public.
Une posture de prière au sol s’esquisse ; des duos, trios se reforment, se fondent, se séparent et divergent en étoile, soutenus par la musique qui enfle et un battement de métronome inexorable.

Licht-ph.Yang Wang
Puis la danse s’uniformise et laisse sur le plateau une femme esseulée dans un court solo.
Sur le plateau, semblant sortir de cercles illusoires comme creusés en fond de scène, des danseurs s’animent, bien réels et présents. Ils sont susceptibles de réaliser une communauté capable d’objectiver les différents aspects de la vie, de capter et d’exalter la beauté et d’orienter les prises de conscience vers un tout possible, harmonieux. Paradisiaque ?
Les douze interprètes peuplent la scène, magnifiant dans des justaucorps couleur chair brodés avec de la passementerie dorée, cette conception de Paradis propice à la célébration des corps et à la nudité primordiale. La force expressive des mouvements et les exécutions savantes combinant attirance, tolérance et envie d’inclusion conduisent à des élans et à un assemblage humain, puis c’est l’effondrement consenti amalgamant les chairs entremêlées, dégageant un sentiment final d’unité et de tout.
L’alliance corps-esprit est sublimée, démontrant encore la dimension vivante et incarnée des créations de Angelin Preljocaj et sa grande sensibilité, interpellant le public : « Quand je mets des danseurs en scène, j’essaie de montrer mon âme et aussi de donner l’âme des danseurs à voir au spectateur ».
Le pari est réussi, le Ballet Preljocaj reçoit des salves d’applaudissements, redoublant avec le salut d’ Angelin Preljocaj, et de ses techniciens, venus rejoindre la Compagnie sur scène.
Les représentations continuent jusqu’au 3 mai 2025.
Paris, Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt, 10 avril 2025
Antonella Poli
Le spectacle en tournée :
Aix-en-Provence, Pavillon Noir
13 au 17 mai 2025
Miramas, Théâtre La Colonne
03 juin 2025
Tours, Théâtre Olympia
Dans le cadre du festival Tours d’Horizons
06 juin 2025
Bolzano (Italie) Teatro Comunale
Dans le cadre du festival Bolzano Danza
18 juillet 2025
Ollioules, Amphithéâtre de Châteauvallon
24 au 26 juillet 2025
Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché
30 et 31 juillet 2025
Dijon, Auditorium de l’Opéra
05 mai 2026
Marseille, La Criée – Théâtre National de Marseille
12 au 16 mai 2026
Tirana, Opéra
Dans le cadre du Festival International de danse de Tirana
Octobre 2026