Racines : le Ballet de l’Opéra de Paris fait appel à la diversité des esthétiques
Chorégraphie : George Balanchine, Mthuthuzeli November, Christopher Wheeldon
Distribution : Les étoiles, les premières danseuses, les premiers danseurs et le Corps de Ballet de l'Opéra national de Paris
Musiques : Tchaïkovski, Gerschwin, Bernstein

Theme and Variations-Paul Marque-ph.Maria Helena Buckley
Le programme Racines composé par Thème and Variations de George Balanchine, Rhapsodies de Mthuthuzeli November et Corybantic Games de Christopher Wheeldon côtoie le grand classique Giselle dans l’ouverture de la nouvelle saison du Ballet de l’Opéra national de Paris.
Il s’agit d’un voyage à travers trois styles de danse différents, qui permet au public d’assister à un large spectre de visions artistiques développées dans le XXe et XXIe siècle. Cette diversité donne aussi la possibilité à un grand nombre de danseuses et de danseurs de pouvoir se confronter à des esthétiques différentes et à une maîtrise de leurs corps diversifiée.
Thème and Variations
Le programme s’ouvre avec Theme and Variations (1947) de George Balanchine, sur les musiques de la Suite n.3 de Tchaïkovski. Ce ballet représente l’hommage du chorégraphe à la tradition du ballet impérial russe et à Marius Petipa, déjà célébrés avec Ballet Imperial en 1942 toujours sur les musiques Tchaïkovski. Sa structure est très classique avec la présence d’un couple principal et douze couples d’interprètes dont quatre de solistes. Le décor épuré présente la scène éclairée par des lustres brillants et sur son fond juste une toile bleu ciel.
Des variations virtuoses et techniques sont réservées aux danseurs principaux : pour la femme, Balanchine réserve fouettés et batteries qui valorisent l’agilité de la ballerine ; pour l’homme, des grands sauts dont des tours en l’air, symbole de sa puissance. La danse harmonieuse du Corps de ballet exalte le classicisme et la structure géométrique de la chorégraphie.
Comme dans tous les ballets classiques, on retrouve un pas de deux central où le couple principal constitué par Valentine Colasante et Paul Marque, guidé par les notes du violon, exprime sa beauté et sa royauté au travers des figures et des enchainements difficiles qui demandent une parfaite entente entre les danseurs. Le pas de deux a mis en valeur la performance de l’étoile masculine, toujours très précise d’un point de vue technique et expressive. Sa partenaire, malgré ses qualités connues, a manqué sur le plan de musicalité et du raffinement requis par le classicisme de la pièce. A remarquer dans la distribution du 6 octobre dernier, la soirée de la première, le sujet Lorenzo Lelli et le danseur coryphée Isaac Lopes Gomes.

Thème and Variations-Valentine Colasante-ph.Maria Helena Buckley
Le final est effervescente en débutant avec une série de grands sissonnes des danseurs et la descente de la scène des danseuses avec des grands développés sur le crescendo de la musique. Thème and Variations se clôt avec un grand ensemble caractérisé par l’harmonie et le synchronisme de tous les danseurs.
Rhapsodies
Le deuxième ballet au programme est Rhapsodies (2024) du chorégraphe sudafricain Mthuthuzeli November, qui présente une de ses ouvres à l’Opéra national de Paris. Comme l’explique le chorégraphe même dans une interview, « Quand j’ai pris mon premier cours de danse classique, ma professeure a cherché comment le monde du ballet pouvait s’intégrer à ce que je savais déjà, la danse de rue et la danse africaine. Et je me suis accroché à cette idée, très fort, parce que le lieu d’où je viens et la personne que suis influencent le langage que j’essaie de transmettre, qui est une sorte d’hybride entre la danse africaine et la danse classique ».
Ce propos est partialement respecté car la chorégraphie est plutôt équilibrée et met en valeur un langage néoclassique où les éléments caractéristiques de la danse africaine ou de rue sont minimes. Cela, n’enlève pas de juger positivement le ballet construit autour d’un couple principal qui représente les différentes facettes d’une relation humaine. Letizia Galloni e Yvon Demol, les interprètes principaux, ont fait preuve d’une entente parfaite dans leurs pas de deux fluides et intenses.
- Rhapsodies-Letizia Galloni et Yvon Demol-ph.Maria Helena Buckley
- Rhapsodies-ph.Maria Helena Buckley
Autour d’eux, les seize danseuses/danseurs du Corps de Ballet reprennent et amplifient les thèmes des pas de deux. Différents tableaux se succèdent, mais malgré la richesse des sonorités et des atmosphères de la partition de la Rhapsody de George Gerswhin, la chorégraphie reste linéaire et épurée. Le désir du chorégraphe de vouloir offrir une représentation des relations humaines fait écho aux chefs d’œuvre de Jerome Robbins, notamment Dances at gathering. Un tableau attire particulièrement l’attention et c’est peut-être le seul où l’on peut ressentir la force et l’énergie de la danse africaine. Un ensemble dansé par des danseurs nous fait éclater et constitue le point fort de tout le ballet.

Rhapsodies-ph.Maria Helena Buckley
Corybantic Games
Suit une autre entrée au répertoire pour le Ballet de l’Opéra national de Paris, Corybantic Games (2018) de Christopher Wheeldon sur Serenade, musique d’un concert pour violon de Leonard Bernstein. Le chorégraphe s’inspire des figures mythologiques des corybantes, prêtres de la déesse Cybèle (Mère des dieux), dévoués à danser armés.
Wheeldon se tourne vers l’Ancienne Grèce et en particulier au thème de l’amour discuté dans le dialogue de Platon Le Banquet.

Corybantic Games-ph.Maria Helena Buckley
Ce propos est explicité par la présence de nombreux pas de deux qui composent la pièce complétement néoclassique qui valorise la purété des lignes classiques. Dans le premier mouvement (Lento et Allegro), l’étoile Bleuenn Battistoni, et les premiers danseurs Thomas Docquir, Silvia Saint-Martin et Pablo Legasa nous font entrer dans l’atmosphère du ballet. Puis, dans le deuxième mouvement (Allegretto) la première danseuse Hohyun Kang avec son allure éclaire la scène avec ses mouvements raffinés.
Inès McIntosh et Jack Gasztowtt offrent un moment espiègle et plein de brio marqué par la rapidité de leurs pas et la vitesse qui accompagne le développement de leur pas de deux sur le Presto du troisième mouvement.
Le quatrième mouvement musical, l’Adagio, voit sur scène Bleuenn Battistoni, Florent Melac, Silvia Saint-Martin, Hohyun Kang, Thomas Docquir et Pablo Legasa. Ce passage constitue un moment de calme et d’harmonie et rend honneur à l’esprit apollinien.

Corybantic Games-Bleuenn Battistoni et Florent Melac-ph.Maria Helena Buckley
Le final, sur le cinquième mouvement Allegro Molto du concert de Leonard Bernstein nous présente une excellente Roxane Stojanov. L’étoile est impérieuse, sa forte personnalité ressort avec son interprétation contemporaine qui perce le public et contraste de manière positive avec l’équilibre des formes qui caractérise toute la pièce.J
- Corybantic Games-Roxane Stojanov-ph.Maria Helena Buckley
- Corybantic Games-Roxane Stojanov et Samuel Bray-ph.Maria Helena Buckley
Jusqu’au 10 novembre 2025
Paris, Opéra Bastille, 6 octobre 2025
Antonella Poli