Soirée de Ballets : le Malandain Ballet Biarritz danse l’ineffable
Chorégraphie : Thierry Malandain
Distribution : Malandain Ballet Biarritz
Musiques : Camille Saint Saëns, Frédérick Chopin
Minuit et demi, ou le Coeur mystérieux-ph Olivier Houeix
Au Théâtre Victoria Eugenia de Donostia/ San Sébastien, le Malandain Ballet Biarritz a présenté Soirée des ballets composée de la création de Thierry Malandain, Minuit et demi ou le cœur mystérieux, couplée avec la reprise de Nocturnes (2014).
Le choix de se produire dans le théâtre de la ville espagnole s’insère dans le cadre de la convention qui, en 2011, avait permis la naissance du Ballet T, un projet de partenariat pour la création d’un Centre Chorégraphique Transfrontalier entre le Malandain Ballet Biarritz et le Théâtre Victoria Eugenia afin d’étendre l’accessibilité à la danse sur le territoire du Pays basque. Les représentations de ce mois de mai marquent le renouvèlement de l’accord pour une période de deux ans (2026-2028), signé par la maire de Biarritz, Maider Arosteguy et le maire de Donostia/Saint Sébastien Eneko Goia. La cérémonie a été le prologue d’une soirée de danse qui touche par sa profondeur et ses émotions.
La création Minuit et demi ou le coeur mystérieux
Malgré l’incertitude qui règne sur le successeur de Thierry Malandain à la tête du CCN-Malandain Biarritz qui pourrait créer une certaine inquiétude, le chorégraphe semble serein et crée Minuit et demi ou le cœur mystérieux, un ballet qui met encore une fois en valeur son style chorégraphique. Il choisit les musiques de Camille Saint Saëns, notamment le poème symphonique Danse macabre, des extraits du Carnaval des animaux et des mélodies inédites chantées du même auteur.
Minuit et demi ou le coeur mysterieux-ph.Stephane Bellocq
Mort et résurrection s’opposent du début à la fin de la pièce. L’effondrement au sol de tous les danseurs, habillés de manteaux noirs doublés en bleu ciel, nous introduit dans un voyage spirituel et sensible où la danse invite à saisir l’ineffable, en transposant l’idée de la musique du philosophe Vladimir Jankélévitch : « Et l’ineffable, tout à l’inverse, est inexprimable parce qu’il y a sur lui infiniment, interminablement à dire ».
On pourrait donc trouver une affinité avec le cœur mystérieux mentionné dans le titre du ballet. Le concept du philosophe se reflète dans le propos de Thierry Malandain : « Le Cœur mystérieux est plus difficile à traduire, car si danser c’est lancer vers l’avenir son espoir obstiné, le temps présent meurt trop jeune, et l’on ne dit jamais tout ce que l’on voudrait cadencer « dans l’onde de la vie »».
Les duos, les trios et les scènes d’ensemble, en cercle ou en suivant des parcours horizontaux, se succèdent avec l’harmonie des lignes, surtout dans les ports de bras et le caractère géometrique des déplacements, qui permet de créer une esthétique pleine d’équilibre et de beauté. Cela s’enrichit avec l’interprétation des danseurs, une équipe soudée qui danse à l’unisson mais qui se présente sur scène avec la diversité de ses personnalités. Cette particularité permet de donner de la prégnance au style chorégraphique de Malandain, qui ne s’arrête pas seulement à la précision des mouvements.
Minuit et demi ou le coeur mysterieux-ph.Stephane Bellocq
Un autre élément important de la pièce est l’introduction de mélodies chantées. Le chant résonne dans les corps des danseurs jusqu’à presque disparaître tant est forte leur symbiose.
Thierry Malandain insère aussi un passage espiègle où quatre danseuses s’entraînent dans un pas de quatre joyeux, en sautant.
Et soudain, un danseur surgit du groupe. Incarne-t-il le symbole d’un espoir lumineux ? Encore une fois, un superbe Hugo Layer remplit la tâche qui lui a été destinée. Le final rassemble tous les danseurs sur scène, pour transmettre au public les dernières vibrations d’émotions face à une danse qui nous fait envoler.
Minuit et demi ou le coeur mystérieux-ph.Stéphane Bellocq
Nocturnes
La Soirée des ballets se complète avec Nocturnes en créant un lien avec la création Minuit et demi. Thierry Malandain s’approprie avec une grande subtilité musicale cinq Nocturnes de Frédérick Chopin (n°20 en do dièse ; n°1 en si bémol Op 9 n°1 ; n°10 en le bémol Op. 32 n° 2 ; n°8 en ré bémol Op.27 n° 2 ; n° 13 en do mineur Op. 48 n° 1) et il s’inspire des danses macabres, présentes dans l’Art Macabre du Moyen Age qui ouvrait une réflexion sur le sens de la vie et de la mort.
Ces danses étaient représentées sur les murs des églises et des cimetières d’Europe, avec un format rectangulaire allongé. Ce même type de disposition scénographique a été repris par le chorégraphe, qui fait défiler ses danseurs sur scène toujours de droite à gauche, dans un espace qui prend à peine la moitié de la profondeur du plateau.
Dès le début, on entre dans un monde d’obscurité où l’on ressent un sentiment de solitude. Un solo prégnant qui se déroule pour la plupart du temps au sol ouvre la pièce. Les autres passages de la chorégraphie sont dansés en duo ou en groupe de quatre ou huit danseurs : des histoires humaines se dessinent, comblées de sentiments dégagés par la musique.
Les interprètes défilent comme sur un tapis imaginaire interminable ; ils volent le temps. Cela rappelle justement le tempo rubato de Chopin, qui altère la mesure et influence le mouvement pour renforcer le pouvoir expressif de certaines notes. Ce ballet est un autre exemple de la grande sensibilité musicale de Thierry Malandain.
A la fin de la pièce, tous les danseurs se retrouvent alignés sur scène, pour transmettre au public un grand sens de communion et de partage des émotions vécues.
Donostia/Sain Sébastien, Théâtre Victoria Eugenia, 16 mai 2025
Antonella Poli
Les prochaines dates de Minuit et demi et de Nocturnes :
Nocturnes + Minuit et demi : 6, 7 et 8 août Biarritz – Gare du Midi à 21h ( le 6 août en partenariat avec le Biarritz piano festival, Thomas Valverde (son président) interprétera Les Nocturnes de Chopin)
Dans le cadre du festival Le Temps d’Aimer :
Minuit et demi : 12 septembre à Mauléon – Au Jai Alai à 20h
13 septembre à St Jean Pied de Port – Au Jai Alai à 20H
Nocturnes + Minuit et demi : 14 septembre à Errenteria (Pays basque sud-Espagne) Lekuona Fabrika à 19h
