Les 20 ans du CCN/Malandain Ballet Biarritz

Le Centre Chorégraphique National/Malandain Ballet Biarritz a fêté ses 20 ans à l’occasion de la XXVIIIème édition du festival Le Temps d’aimer, organisé par Biarritz Culture dans la ville basque sous la direction artistique de Thierry Malandain.  Les danseurs ont voulu célébrer cet anniversaire en offrant au large public présent à Biarritz 20 miniatures dansées dans différents lieux du centre-ville.  Elles ont témoigné du style du chorégraphe français et montré les qualités techniques et interprétatives des danseurs, également auteurs de chaque pièce. Des extraits classiques ont côtoyé d’autres plus ironiques, recités, ou bien encore qui ont donné visibilité au flamenco ou aux danses basques traditionnelles.

Cette déambulation joyeuse a été une manière de rendre hommage à leur travail, à celui de leur directeur et de remercier les institutions qui les soutiennent.

 

ph.Olivier Houeix

Mais Thierry Malandain, qui a finalement atteint aujourd’hui la reconnaissance méritée du public et des institutions avec plus quatre-vingts œuvres à son actif, réfléchi et expose ses idées sur sa carrière, sur sa prochaine création, sur son avenir (son mandat à la tête du CCN se terminera en 2022) et de manière plus générale sur la situation de la danse française aujourd’hui.

AP : Quelles étaient vos perspectives, il y a 20 ans, quand vous vous êtes installé à Biarritz ? Auriez-vous pu imaginer rester si longtemps ?

Thierry Malandain : J’ai été nommé en 1998 en faisant la promesse au maire de Biarritz d’y rester suffisamment longtemps pour garantir une certaine continuité du travail. Au départ, les mandats des directeurs des centres chorégraphiques n’étaient pas réglés dans le temps, il y a donc eu des renouvèlements de mandat.

Ensuite, la durée du mandat a été fixée à dix ans et mon nouveau mandat prolongé par l’ex-Ministre de la culture Audrey Azoulay expirera en 2022, même si j’attends encore le nouveau contrat. Certes, j’aurais pu partir ailleurs car j’ai reçu pendant ces années d’autres propositions, mais je suis resté en signe de fidélité envers la ville de Biarritz, les danseurs et l’équipe. Le CCN Malandain Ballet Biarritz a 20 ans, mais la compagnie 32. Aujourd’hui, elle compte 22 danseurs permanents ; à la création du CCN, nous avions seulement 12 intermittents.

AP : Quelles évolutions pouvez-vous constater aujourd’hui au sein de la compagnie ?

TM : Je ne me rends pas compte s’il y a eu de vraies évolutions car je suis toujours dans le travail quotidien. Certes, aujourd’hui les personnalités des danseurs ne sont pas les mêmes qu’il y dix-quinze ans, c’est une autre réalité. La compagnie a du succès car le regard sur elle a changé, mon style et la matrice de mon travail sont en revanche restés identiques. En 1986, une des premières critiques reçues prophétisait la naissance d’un grand chorégraphe qui allait succéder à Maurice Béjart et Roland Petit. Même dans le passé, je n’ai jamais eu de problème d’appréciation de mes spectacles de la part du public et je crois que certains de mes ballets plus anciens, notamment Fleur de Pierre, pourrait obtenir aujourd’hui  encore un grand succès et tourner. A partir de la création de Magifique, la compagnie a bénéficié d’une plus grande ouverture et d’attention de la part des institutions car elles nous ont suivis ; cela a été fondamental.

En outre, nous devons cette reconnaissance à nos tournées internationales (1/3 de nos cent dates de représentation par an sont à l’internationale), à une plus grande diffusion dans la presse, au travail d’implantation et de soutien de la ville de Biarritz, une ville avec seulement 25 000 habitants mais qui a répondu et qui suit fidèlement le ballet. Nous avons le plus important nombre de spectateurs de tous les CCN considérant les habitants de la ville de Biarritz. Ce sont des facteurs qui ont fait la différence. Il semble aujourd’hui incroyable qu’il y a seulement deux ans la Belle et la Bête était représentée à la Biennale de la Danse de Lyon parce que le Malandain Ballet Biarritz était trop peu suivi. Aujourd’hui le Malandain Ballet Biarritz est un des ballets européens les plus actifs. Certes, nos moyens restent inférieurs à ceux d’autres CCN, nous sommes en danger, d’autant plus que nous avons la moitié du budget d’autres avec le même dispositif.

AP: Que pensez-vous de l’attention portée aujourd’hui au néoclassique ?

TM : Le néoclassique reste vivace, la preuve en est l’adhésion du public et son affluence. Il faut remettre en question les choix faits dans les années quatre-vingts où la danse contemporaine a été poussée et est devenue un phénomène de mode. Si nous regardons en arrière, dans cette vague de chorégraphes contemporains,  ne restent que Maguy Marin et Jean Claude Gallotta qui ne reçoivent même pas un grand soutien. L’univers de la danse française est un monde qui dévore car les institutions sont toujours à la recherche de nouveautés. Je suis un survivant de l’institution.

AP : Avez-vous faites des concessions tout au long de ces années ?

TM : J’ai tout le temps fait des concessions : d’abord des concessions au rêve. Par exemple, le décor de Noé, qui est simple mais qui demandait quatre moteurs qui coutaient trop chers, 150 000 euros. Néanmoins nous avons réussi à surmonter cette difficulté. Pendant toute ma carrière, j’ai dû m’adapter aux limites imposées par le budget. Les décors de mes ballets restent simples, les contraintes de tous les jours ont créé un style. Malheureusement, j’ai évolué dans une époque avec des restrictions financières, même si le département, la région et la ville font le maximum pour nous.

AP : Pensez-vous que les créations néoclassiques sont négligées à cause de leur coût ?

TM : Non, si l’on regarde les autres grandes compagnies de Ballet, c’est la danse et non l’opéra qui rapporte le plus, car si nous considérons le Ballet du Capitole de Toulouse ou l’Opéra de Paris, les opéras requièrent des décors bien plus imposants et les chanteurs demandent des cachets plus importants pour être engagés. La danse demande un dispositif plus léger, avec des coûts mineurs.

AP : Votre prochaine création sera Marie Antoinette sur des musiques de Haydn. Quelle a été votre approche ?

TM : Il s’agit d’une commande de l’Opéra de Versailles, et je me suis concentré sur la période où Marie-Antoinette a vécu à Versailles. D’ailleurs, le théâtre a été construit et inauguré pour le mariage de Louis XVI et de Marie Antoinette et les noces se sont déroulées à 50 mètres du théâtre, dans la chapelle. L’actuel orchestre du théâtre pouvait se transformer en une salle, qui avait accueilli le repas des noces, un spectacle, la cour étant dans les loges. Et même le dernier repas royal, avant le départ du roi et de la reine à Paris vers les Tuileries, s’est déroulé dans le théâtre. J’ai peint un portrait de Marie Antoinette pendant ses années à Versailles, rien d’autre, d’autant plus qu’elle ne voyageait pas beaucoup ; elle restait dans les alentours de Paris de château en château. Je pense que la magie de ce lieu, avec toute son histoire contribueront au succès de ce ballet.

AP : Si vous deviez plaider en faveur de la danse classique, quels arguments mettriez-vous en avant ?

TM : Si l’on néglige la danse classique, cela est dû à un manque de culture.  Jérôme Bel, par exemple, avait été fasciné par la construction de La Bayadère, lors de sa présence à l’Opéra de Paris pendant la création de son oeuvre Véronique Doisneau. Certes, il y a aussi de très bons artistes contemporains. Ce qui est important, c’est le sens d’une œuvre et le partage avec le public. Cela peut venir de l’émotion que la pièce dégage, ou de son degré de divertissement ; la question est liée au talent des artistes. Je ne vois pas pourquoi on apprécie la Gioconda ou le Déjeuner sur l’herbe de Monet et qu’on a toujours des réticentes envers le classique. En Europe, prenons comme exemple le Royal Ballet, il y a une tendance à conserver le patrimoine ; ils apprécient autant Ashton que MacMillan ou McGregor.

Je pourrai dire aussi que la culture de la danse appartient au sacré. Derrière nous, il y a des centaines de femmes et d’hommes qui ont réfléchi sur la technique et sur comment mettre en valeur le corps humains. Par exemple, les cinq positions rappellent une étoile, elles n’ont pas été définies par hasard mais sur la base de principes précis. Les années quatre-vingts ont produit une erreur de fond, en mettant en avant les nouveautés chorégraphiques contemporaines. La danse classique est toujours restée à la marge.

Il est incroyable de voir comment dans l’histoire de l’art on revient aux valeurs fondatrices, notamment à la mythologie,  car il ne faut jamais oublier les bases, et que pour la danse cela n’arrive pas.

La création de l’Académie Royale de Ballet de la part de Louis XIV a été un acte conservateur, il n’est pas correct de penser que ce fut seulement dans le but de règlementer la danse. En fait, il voulait surtout préserver ses codes. Si l’on regarde la façade de l’Opéra de Paris, le titre d’Académie brille. Donc cela veut dire qu’elle doit avoir  un rôle muséal de sauvegarde du patrimoine artistique avec la faculté de montrer des œuvres nouvelles. Les artistes peuvent faire des choix par rapport à leur sensibilité mais les institutions ne doivent pas s’intéresser à cela. Il y a un autre facteur historique qu’il faut mettre en évidence : à partir de 1830, la danse en France était dominée notamment par des artistes italiens, renommés pour leur virtuosité. Les français avaient toujours privilégié l’élégance du geste. Seulement Petipa, à Saint-Pétersbourg, avait réussi à faire un juste compromis entre ces deux aspects. Et dans le choix de mal juger la virtuosité il y a un paradoxe, d’autant plus actuel avec le développement de la danse hip hop : les mouvements des danseurs ne peuvent-ils pas être considérés comme des formes de virtuosité ? Cette année, l’Opéra de Paris fête ses 350 ans et il n’y a aucune pièce du répertoire, ni de chorégraphes français à l’affiche. Nos chorégraphes, notamment Lifar, Avelin, Mérante, ont été oubliés. Dans un ballet comme Soir de fête d’Avelin, on retrouve tout Balanchine qui avait été lui-même influencé par Petipa. Nous sommes en train de perdre toute notre tradition et il est dommage que les jeunes danseurs d’aujourd’hui ne puissent pas la connaître. Je suis confiant, je pense qu’un jour elle reprendra sa juste place.

AP : Pensez- vous à votre avenir après 2022 ?

TM : Oui, mais je n’ai encore rien décidé. Peut-être vais-je arrêter de chorégraphier, cela fait 50 ans que je ne me suis pas arrêté. Je reste ouvert, si j’ai des propositions pour d’autres compagnies je peux accepter, mais je ne veux pas repartir à zéro. Quand je suis arrivé à St. Etienne, j’ai eu besoin de 6 ans pour bien m’installer ; ici, à Biarritz, j’ai dû tout recommencer. Je ne voudrais plus répéter la même chose. En même temps, diriger une compagnie demande un gros travail et je n’aime pas trop être invité pour créer des ballets pour d’autres troupes.

Je n’ai jamais fait une grande publicité de mes œuvres auprès d’autres compagnies de ballet ; pendant la journée, je travaille avec les danseurs. Je n’aime pas trop me montrer aux premières et la nuit je crée. Néanmoins, mes pièces sont réputées pouvoir être dansées ailleurs :  j’ai remonté Don Juan et Cendrillon sur demande de Manuel Legris, directeur du Ballet de l’Opéra de Vienne  qui, je pense, me demandera Marie-Antoinette s’il est encore en poste; Don Juan au Ballet de Leipzig, sur invitation de Mario Schroeder et récemment Eleonora Abbagnato, directrice de l’Opéra de Rome, voulait louer la production de la Belle et la Bête ; elle souhaitait interpréter ce rôle mais nous n’avons pas pu concrétiser ce projet car ce ballet est à l’affiche de nos tournées. Récemment, Jorma Elo, ex danseur de Kylian et aujourd’hui chorégraphe au Ballet de Boston, m’a salué presque avec une révérence ; je suis resté surpris, vu mon caractère réservé.

On crée une fondation pour gérer tout mon répertoire, ce qui permettra à mes ballets d’exister, des anciens danseurs du Malandain Ballet Biarritz auront la charge de les remonter. Le choix pour mon futur reste incertain, je m’interroge et je ne peux pas imaginer aujourd’hui si je sentirai le manque de ne plus chorégraphier. J’aime écrire sur la danse, faire des recherches ; peut-être me consacrerai-je à l’écriture pour combler les vides qui existent encore d’un point de vue historique, je serai peut-être utile à cela.

Biarritz, 17 Septembre 2018

Antonella Poli

Le ballet Marie-Antoinette sera représentée en avant première à la Gare du Midi à Biarritz les 16 et 17 Novembre prochains; à l’Opéra de Versailles, première, du 29 au 31 Mars 2019

 

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