Guillaume Côté : ses adieux au Ballet national du Canada

Guillaume Côté-ph.Karolina Kuras
Le 5 juin dernier, Guillaume Côté, l’étoile du Ballet national du Canada, a fait ses adieux à la compagnie après vingt-six ans de carrière, dans une soirée conçue pour mettre en avant ses qualités de danseur et de chorégraphe.
Un carrière exemplaire
Danseur emblématique du Ballet national du Canada, Guillaume Côté a marqué les scènes de grands théâtres, non seulement canadiens mais aussi européens, notamment le Théâtre alla Scala de Milan, l’Opéra de Vienne, l’Opéra d’Hambourg. Il a été auteur d’un parcours exemplaire et il semblait déjà être béni pour la danse dès l’enfance, quand il dansait ses premiers spectacles organisés par l’école de danse fondée par le Prisme Culturel au Lac Saint-Jean (Québec).
Puis c’est le départ à Toronto vers l’Ecole de danse du ballet national à 11 ans, suivi des années de formation et de l’entrée dans la compagnie. Malgré les invitations venant d’autres prestigieuses troupes, notamment de l’American Ballet Theater, il a toujours voulu rester fidèle au Ballet national du Canada.
Les plus grands chorégraphes contemporains ont collaboré avec lui et lui ont créé des rôles : de Roland Petit à James Kudelka, de John Neumeier à Alexei Ratmansky (https://www.erudit.org/fr/revues/jeu/2020-n175-jeu05510/94107ac.pdf). Bien sûr, il a interprété les rôles les plus importants du répertoire classique : Albrecht dans Giselle, le prince Désiré dans La Belle au bois dormant de Noureev, le prince Siegfried dans Le Lac des Cygnes, Roméo dans Roméo et Juliette…
La soirée des adieux
Revenons à la soirée des adieux. Plus précisément, quatre pièces composaient le programme : Boléro et Grand Mirage de Guillaume Côté où lui-même était interprète, Révérence et King’s Fall de deux chorégraphes canadiens, Ethan Colangelo et Jennifer Archimbald. La pertinence de la présence de ces deux dernières œuvres dans la soirée d’adieux reste discutable, étant donné l’écart stylistique avec les ballets de Guillaume Côté, ce qui a créé une dissonance avec l’harmonie et le propos de la soirée.
Boléro, créé en 2012 pour Greta Hodgkinson. Le soir du 5 juin, Genevieve Penn Nabity, Christopher Gerty, Ben Rudisin, Peng-Fei-Jiang et Shaakir Muhammad étaient les interprètes. Contrairement à la célèbre version de Maurice Béjart, ce ballet consacre encore plus la sensualité et le pouvoir de la figure féminine. En fait, la pièce s’ouvre avec la danseuse cernée de près par quatre danseurs : sa sensualité s’exprime à travers les mouvements sinueux de son corps, surtout du bassin, jusqu’à ce qu’elle se libère.

ph.Karolina Kuras
Sur le crescendo du chef d’œuvre musical de Maurice Ravel, la danseuse attire ses partenaires en se montrant à la fois faible et séductrice. Elle se laisse emporter dans des lifts, dans des poses acrobatiques qui l’élèvent et la consacrent. Les partenaires deviennent des accompagnateurs secondaires, faisant ressurgir sa personnalité. La beauté de son corps et sa charge érotique apparaissent subtilement exaltées par l’augmentation du rythme de la musique et par le style chorégraphique, basé sur un langage néoclassique enrichi par une gestuelle plus contemporaine et expressive.
Ce Boléro colle à l’esprit du premier Boléro créé par Ida Rubinstein pour elle-même (1928), véritable autocélébration de ses qualités artistiques.
La soirée a été clôturée par Grand Mirage, une création originale interprétée par l’étoile elle-même, qui s’ouvre avec un film du réalisateur Ben Shirinian.
Il présente l’arrivée du protagoniste principal (Guillaume Côté) dans un hôtel isolé nommé Grand Mirage. Parvenu dans sa chambre, un voyage introspectif commence, métaphore de l’état vécu d’un danseur étoile lors de ses adieux : d’abord devant un miroir où le visage se transforme, puis en se précipitant dans un abysse, symbole d’un trouble psychique.
A ce moment même, le film s’arrête, prolongé par une réplication réelle de la chambre sur la scène du théâtre.
Le lit est là avec le papier peint, de couleur vert intense, décoré par des pivoines rose antique. Guillaume Côté se déploie dans un solo où ses qualités techniques, accompagnées par le naturel de ses mouvements, commencent à enchanter le public. C’est l’incarnation des émotions personnelles et des années de travail qui se manifeste.
- Hannah Galway et Guillaume Côté-ph.Karolina Kuras
- Guillaume Côté-ph.Karolina Kuras
Puis une figure féminine charmante, avec des lunettes de soleil et une longue fourrure (Greta Hodgkinson), apparaît : elle représente le rêve, la passion, le désir, l’illusion. Le pas de deux sur la musique du Nocturne Op.2 en mi bémol majeur de Frédérick Chopin met à nu tous ces univers. Par ailleurs les deux interprètes, qui ont dansé ensemble pendant plus de vingt ans, créent un moment de délice visuel. La femme séduisante transporte son homme avec malice et élégance. La finesse de la gestuelle de Greta Hodgkinson se joint à l’émerveillement de son partenaire. Leur empathie corporelle réciproque se transmet au public, amené à ressentir les mêmes sentiments.
On retrouvera cette femme fatale dans le final de la pièce, avec un pas de deux où elle disparaît du lit comme par magie.

Greta Hodgkinson et Guillaume Côté-ph.Karolina Kuras
Mais entre-temps, l’interprète Guillaume Côté a traversé d’autres états d’âme : une figure démoniaque lui apparaît, il enchaîne deux autres pas de deux avec deux figures féminines et un solo sur la musique Strangers in the night de Frank Sinatra, et pour conclure un dernier solo poignant sur la chanson My body is a cage interprétée par Peter Gabriel.
Ce titre est emblématique pour un danseur, dont le corps constitue le centre de la vie. Si le développement de la pièce est basé sur le dualisme corps-esprit, exprimé dans le film initial avec la représentation d’une âme troublée, puis sur le plateau avec les différentes scènes où nos états intimes se manifestent (désirs, sentiments, passions), le final met Guillaume Côté face à lui-même, semblant avoir trouvé et accepté un point d’équilibre. Son voyage initiatique, enrichi par les clins d’œil aux ballets Nijinsky ou Being and Nothingness, se termine avec l’ovation du public du Four Seasons Centre et l’hommage émouvant des personnalités qui ont marqué sa carrière, saluant ainsi la dernière performance du danseur en tant qu’étoile du Ballet national du Canada.

ph.Karolina Kuras
Mais il est déjà prêt à relever les défis de son futur : les 6, 7 et 8 juin sa pièce Burn, Baby Burn est présentée à Toronto au Bluma Appel Théâtre par sa compagnie Côté Danse. Celle-ci sera en tournée en Europe à Stuttgart lors du festival de danse contemporaine Colours. Puis, il assurera son rôle de directeur artistique au Festival des Arts de Saint-Saveur (Québec) du 23 juillet au 3 août.
En France, sa pièce Hamlet, créée en collaboration avec Robert Lepage, sera en tournée à la Maison des Arts de Créteil le 29 novembre prochain puis au Théâtre – Sénart Scène nationale les 3 et 4 décembre 2025.
Antonella Poli
Pour lire davantage sur Guillaume Côté :
Ballet national du Canada : le dernier Onéguine de Guillaume Côté
Guillaume Côté célèbre ses 20 ans au Ballet National du Canada