Se méfier des eaux qui dorment

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Après la représentation du 14 janvier 2021 au Théâtre de la Cité Internationale, ouverte seulement aux professionnels, à cause des mesures restrictives dues à la pandémie, Se méfier des eaux qui dorment d’Yvann Alexandre peut finalement retrouver le grand public à partir du 25 janvier 2022 au Théâtre, Scène nationale de Saint-Nazaire. « Reprendre cette pièce laquelle était restée endormie, a été très émouvant. Les danseurs ont retrouvé les gestes et les chemins, révélant une mémoire des corps très vivante. Au fil des dix jours de répétitions, nous avons seulement affiné les intentions artistiques, rien d’autre n’a changé », affirme Yvann Alexandre.

Le projet d’un Lac des Cygnes attirait le chorégraphe depuis longtemps autant pour la musique de Tchaïkovski, un vrai coup de cœur, que pour le sujet : « Effectivement, ça fait longtemps que je voulais créer mon Lac des Cygnes, ce grand ballet du répertoire. Contrairement à à certains collègues qui se confrontent à d’autres grandes pièces du répertoire, notamment au Sacre du Printemps ou à Roméo et Juliette, je n’hésitais pas. Pour moi le choix était clair. Son livret a déjà fait l’objet de nombreuses relectures et dans mon vécu je l’ai toujours considéré comme une histoire violente, terrible, politique et sexuée, qui interpelle aussi la place de la femme, malgré les apparences liées à des images esthétiques douces. Certes, il est un ballet extraordinaire et surprenant qui nous entraine vers une dimension surnaturelle.  Malgré mon envie, j’ai eu la patience d’attendre le moment approprié pour me sentir à l’aise et trouver les bonnes clés pour sa construction. Je m’interrogeais sur ce qui fait Cygne et/ou  Signe».

Le chorégraphe était animé d’une part par le désir de la création de son Lac et d’autre part il était particulièrement sensible à la situation écologique de l’Amazonie. Les images des eaux noires du bien nommé Rio Negro et les eaux blanches du Rio Solimões, les deux affluents d’où le fleuve Amazone nait (il a la particularité de ne pas avoir une unique source d’origine) lui donnèrent la clé pour réunir ses propos. 

La pièce d’une heure, est écrite pour huit danseurs, six hommes et deux femmes. Yvann Alexandre est resté fidèle à son style, « une calligraphie de l’intime », respectant les géométries précises dans des mouvements qui par leur essence restent libres comme la coulée des eaux. Des gestes secs, fulgurants, violents alternent avec d’autres plus souples et délicats, remarquables surtout dans les mouvements des bras, évoquant le symbole de la plume. Une particularité caractérise la pièce : tout au long de la pièce les rôles sont interchangeables, c’était à dire que le spectateur ne retrouve pas les figures d’Odile, d’Odette ou du Prince tels que l’on les observe dans le ballet classique. Les corps des danseurs sont traversés par « des états-fleuves ». Ils deviennent chair sensible, universelle, qui mute au fur et à mesure selon les sensations vitales de l’interprète. De ce fait le chorégraphe aime parler de « Lac dans la chair ».

Il dessine des espaces grâce à des danses de groupe qui suivent des lignes et des diagonales très exactes, et même dans le solo où le danseur occupe la scène rarement frontalement, créant une ouverture du plateau. Il n’a pas voulu attribuer dès le départ de la conception des rôles bien définis à ses danseurs. Ceux-ci se laissent emporter par leurs émotions et leurs corps ont la capacité de captiver le spectateur grâce à l’intense exécution des mouvements, lents ou rapides. Ce sont des corps incarcérés, empêchés qui restent vibrants grâce à l’interprétation de la gestuelle précise et aux évolutions des bras, créatrices d’espace.

Enfin, le choix des partitions musicales devient un élément qui nous surprend fortement. Ainsi, à côté des extraits du Lac des Cygnes de Tchaïkovski dans une version très romantique interprétée par le USSR State Academic Symphony Orchestra, sous la direction d’Evgeny Svetlanov (2000), des musiques contemporaines de Jérémy Morizeau et une collection de sons enregistrés en Amazonie dans les décennies 1950-1970 sur la suggestion de Madeleine Leclair, conservatrice du département d’ethnomusicologie au MEG (Musée d’ethnographie de Genève), créent un espace sonore homogène qui d’une part permet de marquer les passages entre les différentes scènes, tout en les reliant et d’autre part d’amplifier la relecture contemporaine du grand ballet classique.

Se méfier des eaux qui dorment en tournée: 

– 3 février 2022 à 20h30 au Théâtre de Laval, Centre National de la Marionnette
-1er mars 2022 à 20h à la Collégiale Saint-Martin à Angers
-7 avril 2022 à 20h30 au THV à Saint-Barthélemy-d’Anjou, SCIN « Art, Enfance, Jeunesse »
-26 avril 2022 à 20h30 à Scènes de Pays, Centre culturel La Loge à Beaupréau-en-Mauges, SCIN « Art en territoire »
-28 avril 2022 à 20h à Espace de Retz, Machecoul-Saint-Même
-30 avril 2022 à 20h à ONYX, scène conventionnée de Saint-Herblain

23 Janvier 2022, Antonella Poli

 

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