Crypto

Chorégraphie : Guillaume Côté

Distribution : Greta Hodgkinson, Casia Vengoechea, Natasha Poon Woo et Guillaume Côté

Musiques : Mikael Karlsson

Guillaume Côté récrée Crypto pour le dernier spectacle de la saison de Danse Danse au Théâtre Maisonneuve de Montréal. La pièce avait été présentée pour la première fois le 31 juillet 2019 dans le cadre de la 28ème édition du Festival des Arts de Saint-Sauveur dont le chorégraphe est directeur artistique. 

Il avait confié le livret à Royce Vavrek, un des plus reconnus et créatifs librettistes canadiens, qui approchait le monde de la danse pour la première fois et les musiques à Mikael Karlsson, partenaire dans le passé du chorégraphe suédois Alexander Ekman, notamment pour Swan Lake.

L’équipe est maintenue, et également la structure fondamentale de conte mais avec un final différent et deux nouvelles danseuses, Casia Vengoechea et Natasha Poon Woo qui remplacent Drew Jacobi et Matt Foley dans les rôles de la créature « monstrueuse » et du chirurgien, rejoignant la compagnie Côté Danse.

En synthèse Crypto raconte l’histoire d’un couple qui vit une situation de crise dans leur vie affective. L’homme est obsédé par son imaginaire, il rêve d’une créature « montreuse et magnifique », refuge idéal pour son état d’âme éteint. La femme, soucieuse de raviver leurs sentiments réciproques, invite son mari à aller chercher ce monstre, en espérant que sa présence matérielle puisse réanimer leur relation. Il accepte cette aventure, rencontre la créature inconnue, la capture et l’introduit au sein de son foyer. Sa complète différence physiologique suggère au couple de l’humaniser en faisant appel à un chirurgien très habile dans ce genre de transformation. Le résultat est tragique : la mystérieuse  créature succombe et le couple se retrouve encore une fois enfermé dans sa solitude face à la réalité et au sort  qu’ils auraient voulu modifier.

Greta Hodgkinson et Guillaume Côté-ph.Sasha Onyshchenko

La transformation du ballet par rapport à sa première version se révèle sous ces deux formes : d’une part l’articulation de sa structure dramaturgique est mieux réussie parce que les différents tableaux de la pièce sont conçus de manière plus incisive mettant en valeur les moments clés de l’histoire et, d’autre part un langage chorégraphique doué d’une puissance qui permet aux danseurs d’exprimer plus intensément la profondeur des émotions en jeu. Guillaume Côté élabore et fait évoluer son style en amalgamant les techniques classiques et contemporaines, ce qui fait ressurgir une gestuelle prégnante d’un point de vue esthétique et théâtrale.    

L’atmosphère de la pièce est ténébreuse comme les états intérieurs des deux protagonistes. Crypto s’ouvre avec deux soli soutenus par une voix off : d’abord, l’homme (Guillaume Côté) décrit son obsession : « Trop de nuits…je revais… Monstreuse, magnifique…rêve de nuit » ; puis, sa femme (Greta Hodgkinson) s’interroge et extériorise son flux de pensées, associant le désir de son mari à l’idée du mythe : « Monstreuse, magnifique…manifestation du mythe…, la découverte… ». Dans ce premier temps, le tourbillon de la conscience alimenté à ce stade par son imagination formelle concernant la créature,  est renforcé par le décor sombre de la scène suggérant l’intimité perturbée du couple. Lors de leur solos respectif, chacun livre sa propre solitude et son désarroi avec une gestualité linéaire mais efficacement expressive où les émotions ressortent des mouvements de bras et des ports de tête.

Contrairement à la première version de Crypto, le voyage à la recherche de la créature mythique est rendu de manière plus explicite : le déplacement physique de l’homme devient aussi métaphore d’un chemin intérieur.  Sur un fond noir, la succession des images numériques projetées, dont celles de cercles centrifuges, nous emporte vertigineusement…, alors qu’en parallèle, son état émotionnel d’ivresse mentale apparait au travers d’une pirouette exécutée en toute vitesse qui semble ne jamais s’arrêter.

La rencontre de l’homme avec la créature monstrueuse reste un des moments les plus poétiques : comment la nature humaine peut-elle réagir face à un tel être qui, en même temps, constitue l’achèvement de ses rêves. La question de cet accomplissement est aussi un des moments cruciaux de l’intrigue.

Casia Vengoechea et Guillaume Côté-ph.Sasha Onyshchenko

L’homme s’approche d’elle avec beaucoup de délicatesse, sa présence si discrète est quasi-invisible, il ose à peine l’effleurer et il la caresse avec respect.

Casia Vengoechea, complètement transfigurée en formes animalesques grâce à la flexibilité de son corps, réalise avec Guillaume Côté un duo magistral qui installe une atmosphère de suspense allant crescendo.

Cette première rencontre dominée par un sentiment d’étonnement et d’éblouissement cède la place à un autre pas de deux où ils s’affrontent avec force : la proie est capturée, l’objet d’un désir si fort, initialement seulement imaginé d’un point de vue formel peut finalement se matérialiser[1].  L’arrivée à la maison est marquée par un nouveau pas de deux – inédit – où la créature se confronte à la femme en luttant et en essayant de se libérer, en vain.

Jusqu’où peut aller la volonté et le sentiment de puissance de l’être humain pour s’imposer sur les autres êtres vivants, quels en seraient les effets ? La réponse est radicale. Natasha Woon Poo qui danse dans le rôle du chirurgien, s’impose sur scène avec son solo fulgurant où elle manifeste ses intentions obstinées à détruire la nature originelle de la créature afin de satisfaire les volontés du couple.

Sa transformation a lieu et le résultat est cruel ! Elle a perdu toute sa sensibilité, sa capacité à bouger, son corps arrive à peine à se déplacer. A sa première apparition, sa vitalité était stupéfiante et dégageait une grande beauté ! Guillaume Côté et Greta Hodgkinson, l’homme et la femme, expriment leur souffrance et leur défaite dans le pas deux final car ils se retrouvent encore plus déstabilisés et conscients de leur échec. 

Casia Vengoechea-ph.Sasha Onyshchenko

Si le pouvoir de l’imaginaire est grandiose et sans limite, s’il faut si risquer au profit de la créativité, la réalité pousse à la réflexion comme le suggère le conte intensément dansé par Côté Danse. Crypto sera présenté au Festival des Arts de Saint-Sauveur (Québec) le 4 Août prochain. 

Greta Hodgkinson et Guillaume Côté-ph.Sasha Onyshchenko

Montréal, 14 Mai 2022, Théâtre Maisonneuve

Antonella Poli

[1] G. Bachelard, L’eau et les rêves : « Mais outre les images de la forme, si souvent évoquées par les psychologues de l’imagination, il y a — nous le montrerons — des images de la matière, des images directes de la matière. La vue les nomme, mais la main les connaît.

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