En son lieu

Chorégraphie : Christian Rizzo

Distribution : Nicolas Fayol

ph.Marc Domage

Avec sa nouvelle création pour le festival Montpellier Danse, Christian Rizzo revient à « une forme simple » selon ses termes dans une interview : le solo. Il précise aussi entretenir une relation privilégiée quasi-identificatoire avec l’interprète en préférant à sa propre intention chorégraphique « une dérive à deux, toujours plus dense ». Nicolas Fayol est ce danseur, rencontré en 2016, apportant sa grande expérience du hip-hop, son amour de l’espace et du milieu vivant d’où sa décision de vivre à la campagne. La pièce est née d’une étroite collaboration «à distance» entre le chorégraphe et le danseur : les paysages champêtres qui l’entouraient devenaient matière de création et source de questionnements autour de la nature.

C’est d’ailleurs en baskets, short et chemise à carreaux rouges qu’il entre en scène, comme s’il venait d’un champ où il a glané quelques fleurs qu’il a encore en main, dans une atmosphère brumeuse, bien loin de l’agitation urbaine. Déposant le bouquet à côté d’un vase, à distance d’une paire de bottes oubliée sur le plateau, il s’offre une heureuse détente à plat ventre, à plat dos, sur un tapis présumé herbeux ; il se relève, quitte cet espace pour… y revenir. Il enchaine, à l’envi, dans une incroyable mobilité issue du hip hop et ses déclinaisons, contorsions coulées, déhanchements décalés, reptation au sol et roulades ; puis, un brouillard s’abattant sur le plateau, on ne distingue plus que sa silhouette. Comme si, des gradins, nous -spectateurs- devinons lointainement un homme seul dans un vaste paysage noyé dans une mer de nuages d’où émerge le tintement des cloches. Notre rêverie s’éteint pour entrer dans une autre réalité.

ph.Marc Domage

Le danseur évolue debout avec une célérité grandissante, bondissante, alors que le rythme musical s’accélère. Mais, insensiblement, son habileté créative se modifie, effectuant des pas avant-arrières hésitants, raclant le sol du pied, avançant bras pendants ou dans une quadrupédie maladroite sans parvenir à un redressement efficace. Sous nos yeux, une transformation opère. Cherche-t-il à adopter des postures simiesques, se rapproche-t-il des espèces d’où nous dérivons selon les théories darwiniennes de l’évolution au sein du vivant ? 

Les tableaux se succèdent, installant une ambiance de plus en plus hostile. L’artiste, pieds nus et simple tee-shirt, s’empare de tiges métalliques verticales qui simulent des branches d’arbres. Elles deviennent une forêt imaginaire pour, bientôt, joncher le sol, comme abattue ou déracinée, éveillant des images connues d’ouragan dévastateur. Si les bottes accueillent le bouquet qui semble épargné, la scène rougeoyante fait craindre l’embrasement de ce lieu.

Le danseur, repérant deux clochettes, les agite dans un silence provisoire. Le sentiment brut d’effroi s’atténue alors qu’il se rapproche d’un lumignon rouge, déroule des mouvements plus liés et fluides, jusqu’à faire espérer -un instant- l’intervention shamanique d’une déité bienveillante.   

Mais la lumière décline, l’assombrissement ramène l’angoisse et la déréalisation sur un fond sonore continu éprouvant. Rescapé du cataclysme, le danseur apparaît nu sur une terre sans végétal, complétement transformé, conjuguant l’abstraction d’un dehors ravagé et le dérèglement violent des éléments. La nature humaine retourne à son état primitif et dans ce passage, le corps de Nicolas Fayol, inconnaissable, impressionne.

Entravé dans ses déplacements par le désordre des troncs affalés, résumé et renvoyé à sa seule nudité et animalité première, il traverse difficilement le plateau à « quatre pattes » avec des allures de bête traquée, comptant sur son énergie vitale pour, finalement, s’enfoncer et disparaitre dans l’obscurité.

La vision de l’Homme, translaté dans une vie renvoyant aux origines, ayant vécu l’acmé d’une situation de catastrophe annoncée ou d’un scénario digne du Déluge cher à la chrétienté, ne peut qu’inciter à la prise de conscience. Avec humilité. La crainte sensible d’une destruction planétaire, selon certains indices contemporains climatiques, est présente ; et, en conséquence, la question du vivant, dont la destinée de l’humanité.

Le public, très impressionné, applaudit la performance exceptionnelle de Nicolas Fayol qui est rejoint par Christian Rizzo venant le saluer personnellement sur scène.

Montpellier, Agora, Studio Bagouet, 7 Juillet 2021

Jocelyne Vaysse

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