Gardénia – 10 ans après

Chorégraphie : Alain Platel

ph.Pierre Gondard

Dans le cadre du Festival de Marseille, le chorégraphe Alain Platel réanime avec Frank Van Laeke, metteur en scène et le musicien Steven Prengels leur cabaret Gardénia créé en 2010 avec le collectif les Ballets C (Contemporain) de la B (Belgique)  et la compagnie NTGent, antérieurement nommée Nederlands Toneel Gent. Cette performance est donnée dans le lieu avant-gardiste de La Friche – Belle de Mai  au cœur de la cité phocéenne. Vanessa Van Durme, d’abord acteur suivi d’une phase de transition, accompagnée de 7 personnes, vient soulever une question d’actualité : celle du genre et de la diversité LGBTIQ+.

En costume de ville assez strict, tous évoluent sur scène au gré de la chanson Somewhere over the rainbow, annonçant au micro que « le Cabaret Gardénia ne sera plus ». La femme, saisissant une robe pailletée d’un rouge éclatant , déposée sur une chaise, propose au public de participer à une minute de silence en hommage à Andrea de Laet. Une succession de noms suit, comme autant de rappels nostalgiques de vies sexualisées. Dans un rôle de meneuse, elle aguiche aimablement les hommes qui avancent à petits pas, en fredonnant une rengaine connue avec mélancolie.

C’est alors que, lentement, ils se déshabillent, quittant cravates, pantalons et chemises, suspendant par moment leurs mouvements pour s’immobiliser en « arrêt sur image », poursuivant leur métamorphose méthodique, dévoilant l’acquisition d’attributs féminins. Jupes fripées, robes étalées par terre, postures libres, élans et roulades au sol attestent d’une joie libératoire, transgressive, soutenue par une chanson de Claude François qui nous transporte « à Rio », puis vient l’annonce « cherche femme pour relation durable… » sur un air de valse. Rhabillages plus ou moins conformes, perruques généreuses, fantaisies queer et chants sont applaudis alors que s’enchainent dans une ambiance « de boite de nuit » divers tableaux chargés en érotisme, en attirance et rejet trivial, en tension et en détournement d’identité et d’affirmation genrée.

ph.Pierre Gondard

Le Boléro de Ravel entraine cette foule dans une déambulation libre, maladroite, avec des gestes hésitants, ébauchés façon danse classique mais risibles et maniérés, des maquillages outranciers et des robes longues de stars. Ils/elles s’exhibent : enfilage de bas ou chaussettes et talons hauts, seins nus féminins et ventres adipeux, cigarettes à la bouche… « L’amour, mon petit, fait toujours mal » entend-on, alors que s’égrènent des propos violents, incestueux, débridés ; que des corps hybrides virevoltent, se masculinisent ou se travestissent en compagnie de « Comme ils disent » de Charles Aznavour.

Les messages « La vie est comme un long voyage… » et « il faut continuer à croire en l’amour » s’adressent entre autre à un comédien gisant en position fœtale, consolé par la femme qui le relève, occasionnant des embrassades fusionnelles ; la compassion se transforme en un corps-à-corps ambigu, dégénérant en un affrontement féroce sans aucune intervention des autres artistes témoins qui quittent le plateau. L’espace est vide, les sacs à main des dames, abandonnés au sol, sont promptement ramassés.

Par contraste, sur un fond de scène incandescent, une femme en porte-jarretelle s’avance sur un tapis rouge, rejointe par un défilé humain bigarré, fantasque, façon gay pride, se mouvant en ronde, en file indienne. Mais au-delà ou en-deça de ce divertissement d’humeur joyeuse ou de cette mascarade, y aurait-il une difficulté à être, « simplement » ?

Un personnage hyper-féminin en robe scintillante somptueuse recouvert d’un voluptueux manteau blanc en fausse fourrure clôt en chantant le spectacle, très apprécié du public.

Il s’agit d’attiser des envies, de séduire sensuellement et sexuellement, et même de défier la vie sociétale conceptuellement. Cette vitalité déroutante, subversive, pulsionnelle, détourne la norme instituée par des contenus psychosexuels nouveaux qui questionnent la tolérance des uns et l’accès au bonheur des autres, derrière un humour pathétique.

Marseille, 2 Juillet 2021

Jocelyne Vaysse

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