Try-Fixer

Chorégraphie : Daina Ashbee

Distribution : Bejamin Kamino

Musiques : Alejandra Odgers

Bejamin Kamino

Daina Ashbee, chorégraphe et Bejamin Kamino, danseur, Alejandra Odgers, compositrice et Caroline Ségun flutiste, sont les artistes de l’avant-dernier film Try-Fixer proposé par le Festival des Arts de Saint-Sauveur, Une Solitude Partagée.

Daina et Alejandra se concertent par visio-conférence sur la mise en écho réciproque de leur inspiration personnelle : concevoir une fin dansée… sans l’imposer, se connecter à la nature et à soi-même, approcher les choix musicaux de la chorégraphe (entendu sur son site) pour la partition pour flute mêlés à des sonorités inattendues respiratoires et percussives, introduire le tic-tac d’une horloge qui insiste sur le temps qui passe alors que le confinement… [nous bloque].

Déléguant à un homme l’interprétation du solo, Daina Ashbee invoque des images floues dont celle d’un individu sur un quai, dans l’instabilité et la dérive. Benjamin Kamino répond par la vision d’un corps en lutte contre la gravité qui ressent douleur et souffrance et qui s’y soustrait dans le milieu aquatique. Leur complicité s’installe autour des sensations tactiles et des résistances qui changent le mouvement, mais il n’y a d’autres réponses que « d’en faire l’expérience et d’accepter l’inconnu ». Avec impatience. Avec la différence, par rapport aux créations précédentes, de livrer une pièce plutôt figurative et intimiste qui laisse place à l’imagination.

Au bord d’un lac bordé par les sapins de Saint-Sauveur, Caroline Ségun émet des notes douées d’un pouvoir évocateur. C’est un appel, un souvenir d’une âme disparue, provoquant chez la musicienne une sorte de vision hallucinatoire : l’image d’un corps en mouvement qui affleure, bras tendus. Elle observe les remous d’eau d’où émerge un homme puis -comme dans un rêve ou un conte – elle se tient sur un ilot providentiel très loin de la rive.

La fusion du réel et du fantastique nous intrigue d’emblée, visionneurs du film.

Une prise de vue en surplomb nous fait découvrir ce corps, nu, calme, étendu à la surface du lac, point fondamental et central d’où jaillissent de rides concentriques qui semblent s’élargir à l’infini comme s’il était devenu l’omphalos du monde. « L’Être qui sort de l’eau est un reflet qui peu à peu se matérialise ; il est une image avant d’être un Être ; un désir avant d’être une image… », écrivait le philosophe Gaston Bachelard*.

La puissance de cette apparition opère une transposition spatio-temporelle de la flutiste qui se retrouve désormais sur une plateforme flottante au milieu du lac, symbole de son voyage intime, envieuse de rencontrer ce corps mystérieux. Son envie et son désir l’incitent à se manifester ; son battement de pied, comme une exhortation, fait ressurgir de l’eau un corps étourdi, dépaysé face à la nature et à la lumière, éléments perturbateurs par rapport aux abysses ténébreux auxquels il s’était habitué.

Dès que la flûte reprend, le corps flottant retrouve de la vigueur et répond à l’appel en s’arrimant à la plateforme qu’il conquiert. L’homme nous livre les fragments de son corps, les tatouages du torse, le grain de l’épiderme, le sexe entrevu, la bouche ouverte et les cheveux emmêlés. Un cri bref, un repli en position fœtale, engendre un effort de redressement. En tension. En émotion. Morsure du poignet.

Ainsi, un processus de connaissance de soi même a lieu en passant par la prise de conscience de sa peau, de ses doigts et orteils. Sa nudité si naturelle nous emporte vers nos origines : séduisant, sauvage, dégageant toute sa faiblesse face à la dimension terrestre, il teste sa capacité à s’adapter à la force de gravité, malgré ses mouvements en guise de cabriole au sol qui reproduisent des attitudes plus fluides et aquatiques.

Mais le contact avec l’atmosphère humaine ne dure que quelques instants. La résistance et la souffrance s’éloignent au gré des notes apaisées de la flute. Car, une fois reconquise sa verticalité, sa décision est prise : il ne lui reste qu’à basculer en arrière dans le vide et à s’abandonner à l’eau. L’homme s’y enfonce et ne laisse pour seules traces que des ondes circulaires qui se dissolvent vite dans le lac redevenant étale.

Le dernier souffle né de la flute s’éteint en même temps que cette expérience transcendantale d’une grande beauté.

L’eau, élément primordial d’où l’homme est né, est chemin vers la mort. « La mort dans les eaux sera pour cette rêverie la plus maternelle des morts »**.

30 Août 2020, Antonella Poli et Jocelyne Vaysse

*   Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, Essai sur l’imagination de la matière, 1942

** Gaston Bachelard d’après Carl G. Jung, L’eau et les rêves, Essai sur l’imagination de la matière, 1942.

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