Coppél-i.A.

ph.Alice Blangero

Du 27 Décembre au 5 Janvier 2020, Jean-Christophe Maillot présentera au Grimaldi Forum (Monaco) sa création mondiale pour les Ballets de Monte-Carlo, COPPÉL-I.A. Elle marque pour le chorégraphe le retour à la narration grand format. A partir du ballet classique Coppélia (1870), le chorégraphe questionne l’existence des sentiments dans une époque où l’intelligence artificielle semble nous dominer. Dans cette interview, à veille de la première, Jean Christophe Maillot dévoile les propos de sa création. 

ph.Alice Blangero

 

Quelles sont les raisons pour ce retour à un ballet grand format ? Et pourquoi Coppél-i.A. ?

Jean-Christophe Maillot: La narration est une caractéristique majeure de mon travail. Prendre le public par la main et lui raconter une histoire participent au plaisir que j’éprouve à créer ce type de ballet. Pour cela, j’ai besoin de sujets qui me permettent de traiter des relations humaines, des affects et des pulsions qui nous animent. Coppélia est à ce titre l’un des personnages les plus inspirants du répertoire classique. Peut-on rêver meilleure histoire pour explorer le comportement amoureux, que celle de cet automate inanimé qui fait chavirer le cœur d’un jeune homme sur le point de se marier ?

Le choix de l’orthographe du titre a-t-il une signification particulière ?

J-C.M.: Bien sûr, puisque ce sont les initiales que l’on utilise couramment pour désigner l’intelligence artificielle. Ce titre symbolise ma prise de recul par rapport au ballet original qui est un pur produit du second Empire et qui relève d’un romantisme très marqué.

Avez-vous gardé la structure narrative de sa version originale ?

J-C.M.: Disons qu’elle est reconnaissable à plusieurs moments et que ceux qui connaissent le ballet original lui trouveront un air de parenté. Mais j’ai apporté plusieurs modifications afin de pouvoir mettre en adéquation un vocabulaire académique propre à une compagnie telle que Les Ballets de Monte-Carlo avec une narration contemporaine. Lorsque je reprends un ballet classique, mon souci est avant tout de produire une œuvre signifiante pour le public d’aujourd’hui et qui ne connaît pas nécessairement ce répertoire.

Si oui, comment l’avez-vous développée ?

J-C.M.: Outre le changement d’époque (l’action de Coppél-i.A. se situe dans un futur proche), ma narration comprend deux différences majeures. La première concerne Coppélius dont le personnage est beaucoup plus développé que dans le ballet original. La seconde, et la plus importante, est le rôle que j’ai attribué à Coppél-i.A. Elle n’est plus un automate immobile. Elle est un personnage à part entière qui se mêle à la société et dont l’éveil à la conscience constitue le fil directeur du ballet.

Coppélia de 1870 signée par Arthur Saint-Léon d’après le conte L’homme au sable de E.T. Hoffmann, se déroule dans un univers sombre et fantastique selon la tradition du romantisme. Est- ce pareil pour votre version ?

J-C.M.: Il ne reste malheureusement plus grand-chose de la noirceur du conte d’Hoffmann dans la version d’Arthur Saint-Léon et c’est bien ce qui la rend trop édulcorée narrativement parlant. Mon ballet tente d’apporter plus de complexité et de profondeur aux personnages. Je pense notamment à Coppélius qui méritait de recouvrer sa nature faustienne. Le XIXe siècle est une période passionnante. La Révolution Industrielle a fait sentir à l’homme qu’il était l’égal de Dieu et a amorcé le déclin de la religion. C’est pour cette raison que l’on a vu fleurir à cette époque un nombre incroyable de récits peuplés d’êtres fantastiques créés par des savants démiurgiques capables de rivaliser avec Dieu. Coppél-i.A. nous amène à réfléchir sur ce phénomène qui a pris un autre visage de nos jours à travers la question de l’intelligence artificielle.

Quel type de personnalités et de relations humaines avez-vous imaginé pour les quatre personnages principaux : Coppélius, Swanilda, Frantz et Coppélia ?

J-C.M.: J’ai longtemps abordé les personnages de mes ballets suivant l’angle du trio. Mais dans Coppél-i.A., les noms que vous avez cités forment un carré affectif à quatre coins. Cela vous permet de créer des parallèles, des analogies, des mimétismes et des lignes narratives claires pour comprendre ce qui arrive aux deux couples principaux. Pour faire simple : Coppélius aime Coppél-i.A. qui aime Frantz qui devrait aimer Swanilda.

La partition de Léo Delibes se base sur une structure symphonique marquée par des passages musicaux caractéristiques de types de danse, notamment Mazurka, Csardas, Boléro. Dans la création musicale pour votre ballet, les retrouverons-nous ?

J-C.M.: Ma demande était de pouvoir chorégraphier à partir d’une musique mettant en perspective les émotions de ses personnages… « à l’instar d’une musique de film au service du jeu des acteurs et de l’intrigue ». Le choix d’une partition hybride s’est alors imposé et c’est mon frère Bertrand Maillot qui s’est chargé de cette tâche délicate. La partition de Coppél-i.A. se compose d’une part de séquences originales qu’il a écrites et d’autre part d’arrangements de la partition de Léo Delibes qu’il a apportés afin d’altérer sa structure harmonique et son déroulement temporel par le biais de traitements audio et d’instruments virtuels.

ph.Alice Blangero

Dans le dossier de presse on lit : « Est-ce encore l’être de chair qui nous est familier ou un être différent qui interroge notre appartenance au genre humain ? ». Cela semble être le propos de votre création. Quelle est votre pensée et quel message voudriez-vous transmettre au public ?

J-C.M.: Aujourd’hui quand on parle d’intelligence artificielle, on ne parle plus de science-fiction ou de fantasmagorie débridée comme c’était encore le cas il y a vingt ans. On parle de notre quotidien, ou du moins d’un avenir proche que nous aurions rattrapé, voire dépassé sans vraiment nous en rendre compte. À cause de l’intelligence artificielle qui dissèque notre quotidien et devance nos désirs, nous avons l’impression de ne plus vraiment nous appartenir. Nous ne sommes plus très sûrs de notre réalité, de notre corps ou de notre libre arbitre. C’est précisément ce qui arrive à Frantz sur le plan amoureux lorsque Coppél-i.A. fait irruption dans sa vie. L’intelligence artificielle sème le doute et la confusion en lui.

Propos recueillis en amont de la création par Antonella Poli, Décembre 2019

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