Grand prix de l’Académie des beaux-arts en chorégraphie à Germaine Acogny

Germaine Acogny - ph.Antoine Tempé

Le Grand Prix en chorégraphie de l’Académie des beaux-arts a été attribué à la danseuse et chorégraphe franco-sénégalaise Germaine Acogny. Celui-ci lui a été remis lors d’une cérémonie officielle à l’Académie des beaux-arts, le mercredi 25 octobre, sous la coupole du Palais de l’Institut de France par Thierry Malandain.

Germaine Acogny et Laurent Petitgirard- ph. A.Poli

Ce Grand Prix s’inscrit dans le cadre des « Grands Prix de l’Académie des beaux-arts » créés cette année sur la proposition de Laurent Petitgirard, secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts. Le prix est doté de 30 000 euros, financés par l’Académie. Cette somme est mise à la disposition de chaque lauréat, invité à la répartir entre plusieurs artistes dont il apprécie l’œuvre ou l’action.

A la veille de la Remise du Prix, nous nous sommes entretenus avec la grande figure de la danse africaine et pas seulement, car elle a le mérite d’avoir voulu intégrer l’énergie, la force, la tradition de la danse africaine avec la danse contemporaine. Nous avons voulu recueillir son témoignage par rapport à l’évolution de la danse d’aujourd’hui, à ses rapports avec Maurice Béjart, à la conception de sa danse et au futur de l’Ecole des Sables crée en 2004 à Toubab Dialaw près de Dakar, en sachant que l’Ecole est connue en tant que centre international dédié aux danses contemporaines et traditionnelles d’Afrique, avec le soutien de son mari Helmut Vogt.

Germaine Acogny reconnait le développement des danses urbaines, de la danse contemporaine définie non-danse. Libre de préjugés, ce qui compte pour elle est de laisser aux artistes la liberté d’imaginer, de créer, pour que chacun d’entre eux puisse s’exprimer selon sa sensibilité. Elle nous parle aussi du spectateur qui contribue à créer une œuvre avec ses sentiments et ses émotions entrelacés avec sa vie.
De Maurice Béjart, elle a partagé l’attirance vers les danses des différents pays et leurs diffusions dans les différents milieux : rappelons qu’à l’initiative de Maurice Béjart et du Président sénégalais Léopold Sédar Senghor, fut créée Mudra Afrique, lieu dirigé par Germaine Acogny (1977-1983) qui avait enseigné précédemment à Mudra à Bruxelles.

Bien sûr, la fondation de l’Ecole des Sables en 2004, lui a permis d’inviter plusieurs chorégraphes, de transmettre aux danseurs différentes techniques (Graham, Limon). Mais la nature reste sa source primaire d’inspiration, toujours en connexion avec son corps, au point de le rendre immortel. Quand elle était enfant, elle était émerveillée à voir bouger les arbres, « ils dansent » – pensait-elle. Dans les différentes parties du corps humain elle y retrouve le soleil (la poitrine), la lune (les fesses), les étoiles (le pubis). « Il faudra apprendre à sentir de notre corps, à le toucher », dit-elle pendant la cérémonie.
Et à la base de ce processus d’incorporation des éléments naturels, il y a le rythme qui marque le signe de la transformation. Son rapport avec la musique, comme souligne la chorégraphe, est vécu intérieurement, sans compter les mesures comme habituellement font les danseurs.

On la sent vibrer au téléphone, pendant toute la cérémonie et son dialogue avec Didier Deschamps pendant la cérémonie de la Remise du Grand Prix : au-delà d’entendre ses mots, nous ressentons son énergie, son enthousiasme, sa sensibilité qui se manifestent dans son travail où le sentir corporel constitue un de ses atouts.
Elle nous parle de sa technique, relationnée avec la nature qui l’entoure : le baobab, l’escargot, le serpent sont des exemples de figures techniques. D’ailleurs, Thierry Malandain dans son discours qui a précédé la remise du Grand Prix, a raconté un souvenir de la vie de Germaine Acogny : « Lorsque je naquis, le jour de la Pentecôte 1944, une colombe vint se poser sur la fenêtre de ma chambre – selon le récit de mon père-, et y revint chaque jour jusqu’à ce que j’eusse un an ».

Son ancrage dans la culture africaine l’a amenée à reprendre le Sacre du Printemps de Pina Bausch, pièce découverte à l’Opéra de Paris : elle y tenait beaucoup car elle y retrouvait ses principes chorégraphiques et surtout comprenait le sens du sacrifice, du rituel et du mythe, messages universels et surtout de sa culture qui imprègnent la pièce. La transmission aux danseurs de l’Ecole des Sables s’est déroulée avec respect, écoute, amour, compréhension et patience avec des ex-danseurs de Pina Bausch, notamment Jo Ann Endicott. Cette expérience a fait l’objet d’un film, Pina, qui a remporté en juin 2023 le Prix du Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre, Musique et Danse du meilleur film de danse de la saison . C’est une pièce unique du répertoire qui rencontre vraiment l’esprit à la base de la danse africaine. Des extraits de ses pièces, Les écailles de la mémoire, Fagaala, Tchourai et À un endroit du début, ont été projetés sur des écrans distribués dans la salle de l’Institut français.

A un endroit du debut – ph.Thomas Dorn

Maintenant Germaine Acogny a son regard tourné vers le futur, ce Grand Prix de 30 000 euros constitue « le prolongement d’un rêve ». Il permettra à trois jeunes danseurs, Assiba Dinitri Rachelle Agbossou (Bénin), Amadou Lamine Sow (Sénégal) et Ange Kodro Aossou-Dettmann (Côte d’Ivoire) de murir artistiquement avec ténacité et volonté. « La jeunesse a besoin de continuer à créer, le monde a besoin de beauté et l’art en est l’instrument » conclut Germany Acogny à la fin d’une cérémonie émouvante.

Germaine Acogny est engagée pour défendre la pêche artisanale du village de Toubab Dialaw et l’écosystème de toute la côte menacée par le projet de construction d’un énorme port à conteneurs. Mikaël Serre, metteur en scène pour À un endroit du début, a réuni comédiens, auteurs, danseurs, sénégalais et français, pour en éclairer les enjeux humains, culturels et historiques. A suivre au Théâtre des Abbesses du 19 au 23 Décembre 2023.

Paris, 25 octobre 2023

Antonella Poli

Partager
Site internet créé par : Adveris