Don Juan

Chorégraphie : Johan Inger

Distribution : Aterballetto

Don Juan-ph.Nadir Bonazzi

Après plus de six mois sans représentation, il revient à la compagnie contemporaine italienne Aterballetto (basée en en Émilie-Romagne à Reggio Emilia) d’inaugurer la réouverture de Chaillot-Théâtre national de la Danse.

Les seize danseurs évoluent sous la direction du chorégraphe suédois Johan Inger, prolongeant la lignée de ses maitres Mats Ek et Jiri Kilian, en tant qu’ ancien directeur du Ballet Cullberg et chorégraphe associé au Nederlands Dans Theater. Il est rejoint et assisté par le dramaturge Gregor Acuña-Pohl.

Le ballet narratif, très original, s’appuie sur le personnage de Don Juan, dont différents portraits ont alimenté la littérature, le théâtre et l’art lyrique : la pièce du moine espagnol Tirso de Molina (1630), la comédie Dom Juan de Molière (1665), le Don Giovanni (1787) selon le livret de Da Ponte et la musique de Mozart, dont quelques passages s’insèrent dans la musique rythmée de Marc Alvarez. Ajoutons une œuvre intéressante de Suzanne Lilar (Le Burlador, une réinterprétation du mythe de Don Juan dans une perspective féministe).

Les séquences, par le jeu des blocs mobiles transformant l’espace du plateau, exposent un donjuanisme éloquent où le besoin compulsif de séduire se décline. Les pas-de-deux et leurs mouvements incessants d’attirance, d’enlacement et d’échappées se renouvellent dans des portés audacieux et fluides ; les couples, pièges amoureux d’un moment voués à la rupture, se succèdent. Un affrontement d’un autre ordre oppose Don Juan (dansé par Saul Daniele Ardillo) à son valet Leporello -ici Leo (dansé par Philippe Kratz) – tel un reflet inversé de son âme : c’est « le côté pur et moral de Don Juan, qui est au contraire arrogant et prétentieux » précise le chorégraphe dans l’interview. La danse contemporaine est belle, expressive et violente, alternant ces duos et les mouvements en chœur animés d’une belle énergie commune et d’un enthousiasme vivifiant.

Ainsi, la virtuosité corporelle des interprètes se prête à traduire cette pulsion désirante et les comportements manipulateurs, sans scrupules envers diverses femmes, objet interchangeable, dont Dona Ana, Dona Elvira, Zerlina et autres figures. La scène du mariage, idéalisée sur une estrade auréolée de lumière, est saisissante, perturbée par le rapt séducteur de la mariée par le libertin. S’organise malgré tout une fête populaire ; la foule en liesse exécute des pas traditionnels, des figures de style espagnol et méditerranéen, en farandole et en cercle.

Puis la jovialité turbulente d’un bal masqué d’inspiration vénitienne ou d’un carnaval aux déguisements grotesques éclate sur scène alors que Don Juan semble s’inviter sous les traits d’un ange…plutôt maléfique, plutôt déchu, perché sur des échasses. La tricherie sait devenir grinçante et se révèle, en-deçà des apparences, à l’image des visages cyniques dans la peinture de James Ensor.

Don Juan est condamné à toujours renouveler ses conquêtes, ses tromperies et ses abandons affectifs pour -en fait- tenter d’endiguer sa misère mentale, dévoilée dans la chorégraphie par la danse experte, précise, de personnages moralisateurs.

Cette faculté « donjuanesque », invétérée et masculine, centrée sur la conquête et la satisfaction immédiate de ses envies, se retrouve en miroir quand une femme adopte à son tour des postures aguichantes, dénude son torse, mais elle ne récupère… qu’une paire de claque !

Accaparer l’autre, prendre plaisir à soumettre et à posséder l’autre, résonne avec le mouvement international contemporain « #metoo » qui dénonce les violences faites aux femmes. Cette situation sociale, soulignée par le théâtre, rend encore plus méritante la représentation – très applaudie – de Johan Inger.   

Chaillot-Théâtre national de la Danse, 14 Octobre 2020

Antonella Poli

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