Giselle(s)

Chorégraphie : Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault

Musiques : Adolphe Adam – Les tambours du Bronx – Création musicale électronique de Wilfried Wendling

ph.Olivier Saint Laurens

Dans le cadre du Festival de danse Cadences dirigé par Benoit Dissaux et en ouverture, le Théâtre Olympia d’Arcachon a présenté le 18 septembre dernier la création mondiale Giselle(s) des chorégraphes Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault. Associés dans l’exercice professionnel et mariés dans la vie privée, ils dirigent leur propre compagnie Théâtre du Corps Pietragalla-Derouault  fondée en 2004.

Le propos

La pièce en deux actes, dansée par le couple Pietragalla-Derouault et seize danseurs (3 hommes et 13 femmes) appartenant au Théâtre du Corps, s’appuie sur le ballet-pantomime d’origine « Giselle»* qui développe l’histoire de son héroïne. Paysanne naïve, abusée par Albrecht -un duc infidèle- au point de délirer et d’en mourir, Giselle est accueillie en un espace surnaturel par les Wilis ; elles sont ces « fiancées trompées mortes avant leurs noces » muées en femmes éthérées désincarnées, animées par un esprit vengeur, réintégrant leur tombe à l’aube, sous l’autorité de Myrtha. Le conte, d’inspiration fantastique et érotisé, reflète le mode relationnel de cette époque souscrivant à une domination masculine ancestrale.

Marie-Claude Pietragalla, dans une interview, questionne cette tragédie genrée : « Cette Giselle romantique du XIXe siècle, qu’est-elle devenue ? La condition de la femme a évolué mais les violences faites aux femmes sont toujours là, la trahison par l’amour aussi et elle prend des formes différentes ».

 Ainsi, Giselle(s) s’attache aux relations plurielles contemporaines homme – femme selon une relecture résolument féministe, s’adressant « à toutes les Giselles de notre société ».

Le ballet

Le premier acte expose de manière sombre les vécus de plusieurs couples, ancrés dans la réalité. La chorégraphie installe le public dans une position de témoin, voire de complice ou de voyeur face à une intimité coutumière. La première observatrice est Myrtha, incarnée par Marie Claude Pietragalla,  en costume – pantalon blanc – chapeau – longs gants rouges ; elle surgit d’un au-delà fantasmatique, annoncée par des coups de tonnerre et des flashs lumineux, une torche en main braquée sur la foule des spectateurs et… sur un certain dévoilement de la condition humaine.

Figés sous une sorte de papier-cadeau en cellophane, les individus déchirent cet emballage et jettent des bouquets de fleurs symboliques.

Les scènes successives déroulent des temps forts interactifs entre les hommes et les femmes, dotés de gestes abrupts, de mouvements vifs et de portés, de parcours en bicyclette, de poursuites inquiètes et de courses effrénées pour se soustraire à la menace, s’extraire de la violence du bras levé et s’échapper, se protéger des coups ; que ce soient un couple en rupture, mari et femme modestes trainant leur cabas, deux adultes marginaux, une rencontre improbable, une querelle de collègues dans un bureau, une femme tirée par les pieds par un homme ou encore repoussée par son compagnon à la fierté très flattée par l’existence de bébé…

Ces clichés sécrétés par la vie ordinaire se répètent, accumulant des attitudes posturo-gestuelles de protestation, d’opposition, de séduction vaine, épuisant les énergies défensives et implorantes, additionnant les disputes et appels virulents « chérie, dépêche-toi… ! », sans jamais parvenir à trouver une issue négociée, à maintenir une relation amoureuse qui ne bascule pas dans le conflit avéré et la misogynie, accablant celles, vulnérables et en souffrance, qui recourent à la boisson, à la drogue…

La musique, mêlant la rythmique des Tambours du Bronx, les morceaux d’Adolphe Adam et électroniques, souligne l’exercice d’une virilité abusive et l’effroi qui en résulte.

A la fin de cette première partie et après un solo éblouissant de Myrtha-Pietragalla avec son excellence d’Etoile de l’Opéra de Paris exprimant la rage et l’impuissance, le constat est que la soumission féminine et la désespérance relatives à une relation dictée par l’emprise masculine s’imposent, sans nuance, laissant à terre des femmes inertes, mortellement touchées.

La réplique féminine occupe la deuxième partie, similairement à l’acte « blanc » d’origine mais, ici, la dimension encore retenue des Wilis fait place à un tempérament combatif, impitoyable jusqu’à la cruauté. Pas de tutus longs vaporeux enrobant voluptueusement des Wilis spectrales, mais une communauté de femmes guerrières, à la chevelure ornée d’une couronne de fleurs, sensuelles dans des robes blanches fendues aux pans fluides et couvrant légèrement la poitrine, revendiquant avec fierté leur identité.

Sous l’emblème d’une croix christique blanche suspendue au-dessus du plateau, on distingue leurs têtes puis leurs membres, réunies par Myrtha, femme érigée telle une prêtresse. Dans une lumière aveuglant le public, elles passent à l’action et se déchainent sur un homme -par exemple Albrecht- qui s’est aventuré en leur monde.

La chorégraphie démultiplie les manifestations de leur furie haineuse, leur dévoration meurtrière à l’égard du genre masculin par des mouvements individuels aussi gracieux que déterminés, par des regroupements à l’unisson impressionnants par leur forme compacte redoutable, par des évolutions en ronde ou des désordres ponctués de cris. Leur énergie agressive, leur agitation frénétique se maintient sans répit, comme la pourchasse d’homme piégé dans un tourbillon dansant ou titubant sous leur virulence.

La variation colorée de la croix lumineuse vire au rouge ou au bleu. Elle accompagne les affrontements dansés accusateurs sans pardon qui contrastent avec les phases où leurs élans de femmes solidaires et leur joie collective empruntent à une expression primitive et pulsionnelle ; augmentés des soli et duos prestigieux de Pietragalla et Derouault.

La masculinité, bannie pour des comportements répréhensifs, s’avère crucifiée ; un homme symbolique demeurant seul sous l’imposante croix blanche clôt la représentation. Ce message, artistiquement délivré, veut alerter et tempérer la sociabilité contemporaine ; la pièce est généreusement saluée par le public alors que tous les interprètes sont honorés en recevant des fleurs.

Arcachon, Théâtre Olympia, 18 septembre 2023

Jocelyne Vaysse

* « Giselle », chef d’œuvre du romantisme, est conçu en deux actes par deux chorégraphes Jules Perrot et Jean Coralli sur le livret des co-auteurs Jules-Henri Vernoy de Saint Georges et Théophile Gautier. Le ballet triomphe dès sa création en 1841 à l’0péra de Paris, rue Le Peletier, avec Carlotta Grisi (Giselle). Plusieurs chorégraphes du 21ème siècle ont entrepris une relecture du ballet originel sous l’angle de l’émancipation de Giselle et de la vie sociétale.

 

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