Hedda Gabler

Chorégraphie : Marit Moum Aune

ph.Erik Berg

Après Ghost, Ingrid Lorentzen, directrice du Ballet national de Norvège récemment confirmée à la tête de la compagnie norvégienne jusqu’au 2027, avait confié à Marit Moum Aune une autre création, Hedda Gabler, d’après le drame théâtral d’Ibsen.

La pièce, saluée avec succès lors de la tournée au Bolchoï de Moscou en 2017, est reprise à l’Opéra national de Norvège à Oslo jusqu’au 7 février.

Ingrid Lorentzen et Marit Moum Aune sont liées par une relation d’amitié depuis leur jeunesse. On pourrait s’interroger sur le processus du travail de Marit Moum Aune qui a développé sa carrière plutôt comme metteuse en scène que comme chorégraphe. Mais on reste surpris par l’approche et la qualité du travail qu’elle a mené avec les danseurs du Ballet national de Norvège.

Elle a abordé la lecture du texte profond d’Ibsen avec tous les danseurs, dans leurs langues maternelles, pour que chacun puisse saisir complètement les nuances des caractères psychologiques des personnages. Ensuite, elle a conduit un long et attentif travail d’improvisation avec les interprètes, les stimulant pour qu’ils puissent créer en liberté mais avec un principe important :  chaque action doit susciter une réaction.

Le résultat est époustouflant. Hedda Gabler surprend par son originalité, par sa capacité à parvenir à mettre en scène toute la profondeur des sentiments des protagonistes avec un langage qui dépasse une simple création chorégraphique.

A la base, on retrouve toute la technique des danseurs du ballet national de Norvège à laquelle se rajoutent leurs capacités théâtrales valorisant les psychologies des protagonistes. Ce sont les facteurs marquants de cette œuvre audacieuse. Malgré sa structure narrative, elle reste une pièce introspective qui met à nu les relations humaines et capture le public par l’intensité de chaque scène : des gestes précis, puissants, expressifs, dépassent la simple narration de l’histoire pour représenter une vaste palette de sentiments humains. Amour, jalousie, séduction, méchanceté, frustration et faiblesse sont y représentés.

Grete Sofie Borud Nybakken (Hedda Gabler) -ph.Erik Berg

 Le drame d’Ibsen est centré sur la figure féminine d’Hedda Gabler, femme qui avait été éduquée dans son enfance comme un garçon. Elle avait grandi avec la volonté de vouloir dominer les autres. Son mariage la met face à une réalité différente : la vie familiale l’ennuie, son mari Jørgen Tesman est un chercheur renfermé dans ses études. L’apparition de son ex-amant Eilert Løvborg, qui est en même temps collègue de son mari et marié avec une ex-amie d’Hedda, Thea Elvsted, réveille les instincts d’Hedda. Les deux hommes concourent l’un contre l’autre pour un projet de recherche : Eilert Løvborg le remporte mais en même temps il perd son manuscrit qui est récupéré par Hedda. Femme implacable et froide, elle le détruit, sacrifiant la carrière de son mari (qui était déjà prêt à se l’approprier) et sa propre vie, car elle se suicide.

Le ballet est construit autour de ces quatre personnages principaux auxquels s’ajoutent la Tante Julle et l’Assessor Brack, témoins de leurs relations difficiles. Depuis le début, la pièce apparaît comme un voyage dans le temps et dans la conscience des interprètes : Hedda Gabler est cette enfant à côté de son père, montrant déjà tout son caractère masculin ; puis elle est amoureuse d’Eilert Løvborg, ensuite femme au foyer à côté de Jørgen Tesman et enfin cette femme qui, non seulement met fin à sa vie, mais d’une certaine manière détruit également son mari.

Grete Sofie Borud Nybakken (Hedda Gabler) est une actrice-danseuse superlative : elle ne se limite pas simplement à danser avec son corps exceptionnel ; elle utilise ses mouvements pour exprimer son univers mental, son parcours vers la mort. Elle est toujours sur scène, presque deux heures sans ne jamais perdre en intensité. Ses mouvements lents, allongés, ses poses sont prégnantes et très communicatives. Les deux danseurs, Philipp Carre (Jørgen Tesman) et Silas Henriksen (Eilert Løvborg), sont des victimes, soumises à la force séduisante et destructrice de Hedda.

Deux autres éléments constituent à rendre unique cette pièce. Le premier est la musique de Nils Petter Molvær, abstraite, surréaliste. Le musicien apparaît parfois sur scène avec sa trompette, interprète de solo où chaque vibration valorise les émotions. Le deuxième est le choix adopté pour les changements du décor : tous les éléments descendent du plafond au fur et à mesure, en continu, sans fracture. Les danseurs n’entrent pas et ne sortent pas des coulisses mais plutôt s’éloignent en descendant de la scène. Tout cela empêche au public d’être distrait et d’éloigner son attention.

Le final, le suicide d’Hedda est subtil : la femme reste complétement écrasée par une structure cubique qui lentement s’aplatit sur elle, un choix scénique bien plus fort qu’un simple coup de pistolet à la tête.

Profondément captivant, ce ballet mérite d’être vu. Marita Moum Aune ne peut qu’être satisfaite de son résultat : les longs applaudissements du public en témoignent.

Oslo, 25 Janvier 2020

Antonella Poli

 

 

 

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