IDA, don’t cry me love

Chorégraphie : Lara Barsacq

Distribution : Lara Barsacq, Marta Capaccioli et Elisa Yvelin/Marion Sage

ph.Stanislav Dobak

IDA don’t cry me love souligne l’expérience artistique de Lara Barsacq, développée depuis 1991 au travers de nombreuses contributions internationales en tant que danseuse comédienne.

Elle a entrepris un travail consacré aux grandes figures de la danse à partir d’archives longuement étudiées, dont celles d’Ida Rubinstein qui a été mise à l’honneur du 29 mars au 1er avril 2023 à Chaillot- Théâtre national de la Danse, Paris

Née entre 1883 et 1888 dans l’empire russe, orpheline très jeune, juive, riche héritière, Ida croise au début du 20ème siècle Michel Fokine, danseur et chorégraphe des Ballets russes qui délivre la danse d’un académisme formel. C’est dans ce contexte qu’Ida démarre une carrière qui va se révéler florissante, séduite aussi par Ia « danse libre » d’Isadora Duncan, troublante en tunique légère transparente et pieds nus.

La liberté inventive d’Ida Rubinstein va pleinement s’exprimer, résonnant avec l’initiative heureuse de Lara Barsacq qui met en scène des temps forts de sa biographie en incarnant l’artiste russe.

D’emblée, le public est confronté à l’audace d’Ida par l’arrivée sur le plateau de trois jeunes femmes Lara Barsacq, Marta Capaccioli et Elisa Yvelin ( ou Marion Sage), l’une d’entre elles se déshabillant pour évoluer intégralement nue avec une grâce naturelle. Elle est finalement recouverte d’une pluie de petits papiers scintillants pendant que les voix des deux autres -micro en mains- commencent à conter, par fragments, son histoire.

Ida investit cet art, s’interrompt pendant la Première guerre mondiale, reprend et poursuit sa carrière à Paris en tant qu’égérie des Années Folles, adulée et charismatique, jusqu’à l’exil pour fuir l’antisémitisme en 1940 à Londres où elle ouvre un hôpital pour soigner les vétérans. Elle revient en France mais « son éclat » est révolu, elle s’installe alors à Vence dans les Alpes-Maritimes où elle meurt dans l’oubli général en 1960.

Grace à la connivence des trois danseuses se livrant à diverses postures, jeux de mains et déplacements stylés, différents tableaux surgissent, illustrant la vie d’Ida, sa créativité débordante et insolente.

On apprend ses débuts dénudés sulfureux dans la pièce Salomé  d’Oscar Wilde, elle est méjugée au point d’être un temps internée en psychiatrie et bannie par l’Église. Une courte chorégraphie réanime cette danse, corps sans concession pour une pilosité assumée (fréquente à l’époque) et seins nus sous Sept voiles colorés, suggérant autant une souplesse corporelle qu’une libération sexuelle. Car Ida, parfois travestie en homme, a partagé trois ans sa vie avec Romaine Brooks, peintre américaine la prenant pour modèle.

C’est ensuite son engagement par Serge Diaghilev dans les Ballets russes en tant que mécène, où Ida exécute Cléopâtre somptueuse dans une cape verte, et Schéhérazade avec Vaslav Nijinski. Bronislava Nijinska, également danseuse de la compagnie, révèle que « Ida avait des mouvements très personnels », à savoir une forte expressivité et une présence incroyable qui compenseraient des capacités techniques ordinaires.

Une tragédie de Gabriele d’Annunzio « La Nave » est évoquée au travers d’un film où l’on discerne l’artiste dans un court et unique passage en 1921.

Et aussi, elle demande à Maurice Ravel dont elle est la mécène, une partition pour « un ballet de caractère espagnol »  en vue de fonder sa propre compagnie. Quelques notes d’une rythmique hypnotique -bien connue- retentissent, chorégraphiée par Bronislava pour une interprète juchée sur une table, aux mouvements érotisés excitant le désir des hommes qui finissent par la saisir. Ce Boléro (d’abord nommé Fandango), à la sensualité enivrante, dansé par Ida à Paris en 1928, est repris lors de tournées à Monte-Carlo, Vienne, Milan en 1929, Londres en 1931 (réinterprété ensuite et mondialisé par Maurice Béjart et des chorégraphes contemporains).

Et encore, c’est le rappel de ses multiples contacts avec des auteurs célèbres, dont la commande d’Ida en 1934 de Perséphone d’Igor Stravinsky sur un texte d’André Gide ; dont la dernière danse d’Ida dans Jeanne d’Arc au bûcher sur un texte de Paul Claudel et une musique de A. Honneger en 1938.

Les trois artistes introduisent une période mystique d’Ida, affectée par des souvenirs sombres d’enfance, connotés de disparition, de deuil, de « réparation impossible…, où sont ces corps ? », suivies des paroles Don’t cry me love accompagnées à la guitare, auxquelles s‘ajoute le plaisir du jardinage, le réconfort des fleurs et de la nature.

Enfin, la passion pour les voyages que Ida a effectués en Grèce, en Afrique…, s’inscrit en fond de scène dans une belle œuvre peinte semi-abstraite, mouchetée de nuances rouges et ocres, où l’on devine un fauve semi-allongé et la haute stature d’une girafe.

Une soirée émouvante, entre nostalgie, transformation et magnificence envers le panache d’une femme trop méconnue, trop féministe et provocante pour son époque, adepte des « Arts hybrides » conjuguant musique, danse et chant ; soirée qui, à l’évidence, a comblé l’ensemble du public.        

Paris, Chaillot, Théâtre national de la danse, 29 mars 2023

Jocelyne Vaysse

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