Mystery Sonatas / for Rosa

Chorégraphie : Anne Teresa De Keersmaeker

Distribution : Heinrich Ignaz Franz von Biber

ph. Anne Van Aerschot

La dernière création Mystery Sonatas / for Rosa  de Anne Teresa De Keersmaeker, présentée à la Maison de la Danse de Lyon, allie deux mystères : celui des sonates et celui de son thème.

Les partitions musicales accompagnant les artistes sont les Sonates des Mystères de Heinrich Ignaz Franz Biber, également connues sous le nom de Sonates du Rosaire car elles soutenaient la récitation de plusieurs chapelets ou rosaire pendant le service religieux catholique, honorant les « Mystères sacrés de la vie de la Vierge Marie ». Cette musique baroque écrite vers 1676, composée de quinze sonates, est interprétée par la violoniste Amandine Beyer et son ensemble Gli Incogniti.

D’autre part, Rosas, qui est le nom de la compagnie fondée en 1983 par la chorégraphe, nait de l’expression latine sub rosa, en français sous la rose. Cela évoque la fleur en tant qu’emblème magnifiant la beauté, le secret et le mystère. D’ailleurs, dans l’iconographie, la Vierge Marie est  souvent représentée avec une couronne de roses.

Enfin, la rose est à l’honneur puisqu’elle renvoie, outre la Vierge Marie, à des femmes illustres, dont Rosa Bonheur, peintre indépendante et intrépide ; Rosa Luxembourg, militante socialo-communiste assassinée en Allemagne ; Rosa Parks, afro-américaine ayant lutté contre la ségrégation raciale aux USA ; mais aussi à des personnes contemporaines comme la jeune Rosa Reichel, activiste du climat emportée à 15 ans par les inondations de Wallonie en 2021 et Rosa Vergaelen sa professeure de latin.

Anne Teresa De Keersmaeker le précise dans une interview, balayant ainsi des gens du monde tels qu’ils avancent au fil des siècles jusqu’à l’actualité contemporaine, ajoutant : « J’aime que mes spec­tacles soient très incar­nés, mais je préfère qu’ils gardent une part de mystère …comme les épines dans les roses… ».

Le ballet

Il est quasi-impossible de dissocier la légèreté, la finesse, la précision, la délicatesse et les respirations des partitions musicales et chorégraphiques, leur donnant une aura transcendantale.

L’éclairagiste Minna Tiikkainen valorise la danse, usant de plages larges de lumière ou ciblant les danseurs plongés dans une sorte d’atmosphère mystique ou envoyant des raies lumineuses peut-être d’origine divine, ou encore braquant le spot sur le public et suggérer que nous sommes unis quant au sort commun qui nous attend, chacun obliquant ensuite vers ses pensées et destins personnels. D’autant plus que la danse se donne aussi par moment dans l’ombre, n’exposant que des silhouettes animées dans un clair-obscur embrumé par un halo de fumée, mobilisant dans une angoisse latente imaginaire et réminiscences.

Dans une véritable syntonie et symphonie esthétiques, dans une émotion douce et contenue mais toujours perceptible, les tableaux se succèdent, exposant les trois parties des sonates ayant trait à la joie, la douleur et la gloire, les transitions étant annoncées par un flash lumineux.

Les motifs musicaux engagent les danseurs dans des petites séries de gestes répétés, des reprises raffinées, des jeux subtils où un groupe se scinde en deux parties, adoptant des postures en écho puis différentes et autonomes. Jusqu’à se rejoindre dans un mouvement choral, compact, où la masse humaine résiste et « fait corps » puis se dissocie à nouveau pour s’aligner, pour repartir dans des marches variées, pour circuler selon d’autres configurations. La gestuelle se veut nerveuse, vive et combative ou étirée et élégante. Les duos, les trios, les ajouts et retraits par surprise des danseurs les maintiennent dans une permanente évolution et dans une fluidité de fond remarquable. Contrebalançant ces déplacements par moments géométriques, la représentation inclut plusieurs soli somptueux, individualisant un style expressif.

Les suspensions musicales accentuent la force de la danse par la présence du souffle de l’interprète, par le silence qui s’impose et semble inciter les spectateurs à oser un regard intérieur sur leur trajet de vie . Car la danse au sol, qui connaît des rebonds et roulades, sait aussi glisser vers des moments de langueur, d’inertie jusqu’à figurer la mort.

Mais la vie et le temps au présent sont aussi convoqués par deux courtes séquences très joyeuses et rock’n roll aux éclairages d’un rose  très intense et stimulant.

La pièce offre un dernier solo magnifique en symbiose avec le violon ; elle termine en affichant la dédicace faite à toutes ces femmes : « For Rosa ». 

Cette longue pièce de deux heures qui donne une impression de « temps hors du temps », saisit un public très admiratif de cette œuvre.

Lyon, Maison de la Danse, 8 Novembre 2022

Jocelyne Vaysse 

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