Acosta Danza Cuba

Paysage, Soudain, la nuit, ch.Pontus Lidberg-ph.KIKE

La compagnie Acosta Danza est accueillie au Théâtre national de la danse Chaillot avec un programme composé de pièces de six chorégraphes qui présentent une soirée culturelle et artistique 100% cubaine , en convoquant habilement  les styles dansés néo-classique, contemporain et africain.

Cette compagnie fut fondée en 2015 par le célèbre danseur cubain Carlos Acosta, métis de parents espagnol et africain, ayant incarné les grands rôles du répertoire classique dans le monde entier (outre le Ballet nacional de Cuba, le Houston Ballet, l’American Ballet Theatre, le Royal Ballet, l’Australian Ballet) et aujourd’hui Directeur Artistique du Birmingham Royal Ballet.

La soirée s’ouvre avec la pièce Liberto de Raùl Reinoso au son de percussions qui soutiennent de vifs et brefs soli très africains, jusqu’à la rencontre de deux êtres, sur une conception musicale de Raùl Reinoso et Pepe Gavilondo. Un homme et une femme exécutent un duo empreint de beauté et d’une certaine lenteur qui contraste avec la vivacité initiale.

Le couple se sépare, et l’homme – un esclave en fuite – s’empare d’un grand filet de pêcheur déroulé en fond de scène. Il en déchire un long fragment qui l’enrobe, au point de revenir métaphoriquement au statut de prisonnier. Empêtré dans ce maillage, il titube, chute, rampe au sol pour se retrouver au pied de la déesse yoruba. Irréelle, providentielle, à la coiffe et la robe majestueuse figurant les 4 éléments de la Nature, elle est celle encore invoquée en pays cubain selon un culte animiste qui trouve sa lointaine origine au Bénin. C’est rappeler par cette dernière séquence la déportation esclavagiste subie par des peuples d’Afrique Noire vers le Brésil, Cuba…, translatant avec eux l’appel désespéré… Ici, sur ce plateau, l’homme debout marche avec assurance à côté de la déesse et sort de scène.

La pièce suivante Hybrid, s’appuyant sur le mythe de Sisyphe, est conçue par le chorégraphe Norge Cedeño Raffo qui fut premier danseur pendant dix ans au sein du Danza Contemporánea de Cuba.

Sisyphe, ayant défié les dieux, est condamné à déplacer indéfiniment un rocher, à moins d’une prise de conscience qui fait sens, le délivrant d’une répétition stérile, reflet de la condition humaine à la recherche d’une vie libérée et de la maitrise de son destin.

Sur scène, un V immense d’un rouge violent tracé au sol est surmonté de cordes verticales dont l’une enserre une femme inerte. Celle-ci est rapidement déliée par un homme vite rejoint par un groupe de danseurs aux torses entravés par des cordages, certains étant encore retenus par des élastiques en tension. Tous évoluent avec une célérité vibrante, une détermination rageuse, une énergie indéfectible, magnifiant la femme triomphante. Puis ils déposent leur harnachement et apparaissent dans leur justaucorps gris comme nus, comme revenus à un état primordial. Dans un éclairage rougeoyant, des enchainements audacieux sur un rythme effréné, des pas de deux aux portés virtuoses, des corps épris de liberté, clôturent la pièce.

Chorégraphiée par le suédois Pontus Lidberg, la pièce Paysage, Soudain, la nuit prend place, suggérée par une bande herbeuse en fond de scène, accueillant des vagues de danseurs et danseuses en costumes blancs et beiges. Le sentiment d’harmonie est nuancé par des entrées et sorties de scène incessantes, des attitudes néo-classiques et contemporaines avec des chutes et rebonds, des passages à l’unisson remarquable interrompus par des pas de rumba, des poses fugaces trompeuses au profit d’une énergie époustouflante marquée et fluide, en accord avec la musique quasi magnétique de Leo Brouwer et de Stefan Kevin.

Paysage, Soudain, la nuit, ch.Pontus Lidberg-ph.Panchito Gonzalez

Le solo Impronta conçu par la chorégraphe espagnole Maria Rovira installe un moment de grâce. D’abord de dos et courbée, la danseuse Zeleidy Crespo se redresse, se détourne lentement, déploie des gestes souples, tournoie et fait virevolter sa robe aux couleurs bleu-vert qui se soulève, révélant une silhouette tonique et voluptueuse avant le repli final, sur une partition de Pepe Gavilondo.

La dernière pièce de la soirée De Punta a Cabo, œuvre des chorégraphes Thais Suárez et Alexis Fernández,  nous emmène sur la célèbre promenade bordant le littoral de La Havane, projetée sur écran.

De Punta a cabo,ch.Thais Suárez et Alexis Fernández-ph.Yuris Nurido

Sur le parapet des bandes de jeunes déambulent, des amoureux s’assoient, des solitaires admirent un coucher de soleil ; images de moments nonchalants, sensuels, de la société cubaine. Ces représentations se retrouvent en miroir sur le plateau où les artistes en short et baskets adoptent des postures similaires, mais livrent aussi des éclats de joie, des élans pulsionnels, des temps amusés par la fantaisie d’une jeune fille sur pointes… Des congas introduites sur le plateau vont parfaire cette expression latine de la vitalité cubaine, de l’aube à la nuit sous la pleine lune. Se débarrassant de leurs habits, dévoilant des corps sculptés, la compagnie finit en sous-vêtements, emportée par un rythme jazzy, syncopé, irrésistible…

Au point de contaminer un public très enthousiaste, amorçant quelques déhanchements, applaudissant avec une envie folle de danser !

Le spectacle honore l’histoire cubaine et les sources de son identité, conjuguant la force d’une jeunesse prometteuse, sans se départir d’un passé douloureux que fut la lutte contre l’esclavagisme, évoqué avec talent par la danse sous plusieurs facettes.

Jusqu’au 18 Mars 2022 au Théâtre national de la Danse Chaillot

Jocelyne Vaysse

 

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