Etudes – Piano concerto #1 – Petite Mort
Chorégraphie : Harald Lander, Alexey Ratmansky, Jiri Kyliàn
Distribution : Les étoiles, les premiers danseurs et les artistes du Ballet National du Canada

Etudes, Ballet National du Canada-ph.Karolina Kuras
Le Ballet National du Canada présente un triptyque comme deuxième programme de la saison.
Etudes a été créé par Harald Lander en 1948 par le Ballet Royal du Danemark et est entré au répertoire du Ballet National du Canada en 1980. La trame est celle d’une compagnie classique, en tutu, qui travaille, répète, prépare un grand spectacle inlassablement jusqu’à la première représentation.
L’ensemble des éléments techniques, lumineux ou musicaux, concorde à la progression du spectacle. Le ballet commence dans la quasi-obscurité, on devine des danseuses tenant la barre pour travailler seulement les jambes. Seules celles-ci sont éclairées et donnent le ton de la pièce : la technique et la précision sont au cœur de la représentation. Le final, en pleine lumière, après avoir suivi une suite logique, est absolument éblouissant.
Heather Ogden, étoile de la compagnie, incarne celle que tout le monde attend. Chacun de ses passages est un mélange parfait entre technique et générosité. Dans l’un des tableaux, elle enchaîne un nombre incalculable de fouettés, dans un autre, elle offre, avec ses partenaires, un pas de trois très maîtrisé. À chacune de ses sorties, les vagues d’applaudissements inondent la scène. Elle est l’icône, l’aboutissement visé par chacune des jeunes danseuses qui, sans cesse, répètent.
Les compositions de groupes sont tout aussi spectaculaires, tant la technique, les gestes, les pas sont toujours mesurés. Le corps de ballet semble jaillir de toute part sur le plateau. Lorsqu’on regarde les scènes d’ensemble, on est tenu en haleine comme pour un spectacle de trapèze : la beauté vient de la précision qui, dans cette version du spectacle, est parfaite. Etudes illustre le niveau de maîtrise du ballet Torontois. Plusieurs dizaines de danseurs qui bondissent et s’entrecroisent à une telle vitesse qu’on a l’impression de voir des jeux d’eau. Le dernier tableau, très bref mais tout aussi intense rassemble groupe et solistes, il est fascinant de voir une telle folie collective et une telle débauche de mouvements.
Deux autres pièces complètent le programme offert par le Ballet National du Canada : Piano Concerto #1 d’Alexei Ratmansky et la célèbre Petite Mort de Jiri Kyliàn.
Piano Concerto #1 est l’un des ballets créés par Alexey Ratmansky autour de la vie du compositeur Dimitri Chostakovitch et les épreuves traversées par le compositeur sous Staline. La scénographie montre les symboles de l’URSS éclatés au-dessus des danseurs costumés d’une face rouge et l’autre grise. Le premier et le troisième tableaux ont des accents très ironiques, les mouvements de groupes singent la discipline du régime autoritaire. Au milieu de la pièce, la deuxième partie fait disparaître l’humour au profit de l’émotion. On est bouleversé par la poésie qui lie les solistes Koto Ishihara et Naoya Ebe : ensemble, ils paraissent ne jamais toucher terre.
Enfin, Petite Mort, pièce sublime, transporte, sur l’Adagio et sur l’Andante des concertos pour piano et orchestre n.23 et n.21 de W.A. Mozart, son cortège de mouvements allusifs à la sexualité. Chaque note est d’une certaine manière rendue « visible » par chaque mouvement, par chaque geste des danseurs. C’est comme par magie que le son « sine materia par excellence » se matérialise.
Il faut souligner un autre aspect, celui lié à la sensualité que la pièce dégage. Cela renvoie directement au titre, Petite Mort, qui en français signifie aussi orgasme. En fait le ballet se joue sur un plan extrêmement sensuel, délicat et subtil : l’harmonie des lignes et la grande fluidité des mouvements des corps des danseurs sont au sommet.
- Jenna Savella et Skylar Campbell, Petite Mort-ph.Karolina Kuras
- Tina Pereira et Spencer Hack, Petite Mort-ph.Kalolina Kuras
Les hommes jouent avec des épées, symboles phalliques, et exaltent leur masculinité par des mouvements puissants et langoureux. Les corps des six couples des danseurs , Elena Lobsanova et Joe Chapman, Jenna Savella et Skylar Campbell, Jillian Vanstone et Donald Thom, Tina Pereira et Spencer Hack, Hannah Fischer et Brendan Saye, Greta Hodgkinson et Guillaume Côté, sont brillants, dessinés, soulignés par la lumière.
Les femmes apportent de la finesse mais ne tempèrent pas pour autant cette explosion de virilité. On voit, dans le deuxième tableau mis en musique sur le concerto n.21 de Mozart, les trois pas de deux qui concluent le ballet. Ils apportent un peu de légèreté à toute cette masse musculaire. Le choix de placer Petite Mort avant Etudes dans le programme est louable : on y voit deux écoles qui se succèdent : la technique suit la sensualité.
Toronto, Four Seasons Center for the Performing Arts, 27 Novembre 2019
Hadrien Volle