Opéra national de Grèce : Konstantinos Rigos et son Golden Age

ph.Basiles Kekhagias

Depuis qu’il a pris la tête du Ballet de l’Opéra national d’Athènes, en 2018, Konstantinos Rigos a déjà créé pour celui-ci quatre pièces importantes et insufflé une nouvelle vitalité due aussi à son talent polymorphe.

En effet, Rigos, s’il est avant tout chorégraphe, est aussi metteur en scène, photographe, performeur et c’est lui qui, le plus souvent, crée décors, lumières, costumes pour chacun de ses spectacles. Formé à l’Ecole nationale de danse en même temps qu’à l’Université, Rigos mène une carrière aussi prolixe sur les scènes d’Opéra que sur les plateaux de cinéma ou de télévision, passant d’une création de ballet à celle d’un show de variété. Son éclectisme rappelle celui d’un Jerome Robbins créant une pièce pour le NYCB en même temps qu’un musical pour Broadway.

Si sa carrière internationale l’a porté plus souvent vers les pays de l’Est, en Amérique latine et en Asie, le public français a pu le découvrir notamment à la Biennale de Lyon à l’époque de Guy Darmet. Golden Age, sa dernière création, est, sous la forme d’une immense « party » dansée, le manifeste d’une jeunesse qui ne renonce pas à se battre pour son avenir. En interrogeant son passé, Rigos revisite avec une incroyable vitalité non dénuée d’une discrète nostalgie, 35 ans de créations et de moments forts qui l’ont marqué. Ses références, ses obsessions et ses images parlent à toute une génération. Que faut-il jeter ? Que faut-il garder pour préparer un futur viable ? Son vocabulaire passe sans arrêt du ballet classique au théâtre danse, du contemporain au hip hop, dans un style qui n’appartient qu’à lui et dans lequel les danseurs du GNO Ballet, tous rompus à la danse classique, se sont glissés avec enthousiasme. Golden Age marque donc une étape importante dans la carrière de Rigos et aussi de sa compagnie.

Konstantinos Rigos

Interview à Konstantinos Rigos – Propos recueillis par Sonia Schoonejans

S.S. : Golden Age est-elle la pièce la plus importante pour le ballet de la GNO jusqu’à présent ?

K.R. : C’est l’œuvre la plus différente que nous ayons réalisée avec le ballet de la GNO, car, en termes de technique, elle diffère de toutes les autres œuvres que nous avons mises en scène et qui constituent notre répertoire. La plupart des œuvres sont basées sur des techniques classiques ou néoclassiques, et très peu touchent à la danse contemporaine. Cette œuvre particulière utilise des éléments de la danse classique et néoclassique, de la danse de rue et de la danse-théâtre. Il s’agit d’un spectacle aux techniques plus mixtes qui s’appuie fortement sur la personnalité des danseurs et sur leur interprétation.

 

Votre travail porte souvent sur le côté sombre des choses, mais avec Golden Age, vous choisissez d’être beaucoup plus attentif à ce qui pourrait être positif dans la vie. À quel moment de votre vie vous trouvez-vous ? Quelles réflexions l’état du monde vous inspire-t-il ?  Comment influence-t-il sur votre œuvre ?  Le titre Golden Age est-il lié au souvenir d’un passé heureux ou au désir d’un avenir qui peut être transformé ? Ou simplement plus ironique ?

Si on prend des exemples dans les œuvres que j’ai créées, Le lac des cygnes se déroule dans un environnement dystopique, avec un lac rempli de pétrole à côté d’une station-service abandonnée. Casse-Noisette se déroule dans un endroit à la périphérie d’une ville européenne où, vivant dans  la pauvreté, Clara se réveille de ses cauchemars et crée un monde fantastique. Mais avec Golden Age, j’explore quelque chose de plus pertinent qui concerne le monde dans lequel nous vivons. La pièce transcende les frontières des contes de fées et de la fantaisie. Dans Golden Age, la politique, la société, l’art, la musique et la danse deviennent un véhicule pour interroger des sujets beaucoup plus actuels : là où nous sommes en ce moment, ce que nous voyons autour de nous,  à quoi nous appartenons et ce que nous demandons ; comment nous tenons-nous face aux événements. Le titre flirte avec le passé, cherche l’avenir et se moque du présent.

Dans Golden Age, vous accordez une place particulière à une fête dansante. Les évènements ont lieu durant une « party ». Quel est pour vous le sens de la fête ?

La fête est un lieu et un moyen pour les gens de se réunir, d’être ensemble, de parler, de vivre, de s’amuser et de souffrir. L’espace renferme les visages et l’histoire peut commencer.

De nombreux souvenirs présents dans votre ballet sont liés à des moments musicaux.   Quelle est votre relation avec la musique ?

La musique dans la danse m’intéresse beaucoup ; elle est porteuse d’émotions et son utilisation peut amener n’importe quelle pièce à un autre niveau. Chorégraphier une œuvre classique ou contemporaine, fut-ce de manière moderne, ce n’est pas la même chose que d’intercaler des chansons tout au long de l’œuvre musicale, et qui sont le plus souvent une source de souvenirs pour le public lui-même. Dans Golden Age, j’ai choisi neuf chansons allant de l’opéra au rock en passant par la musique grecque, créant une multiplicité de sens pour le public.

Vous utilisez dans Golden Age des textes et des vidéos. Qu’apportent-ils de plus que la danse ?

La parole et l’image concrétisent le contenu de l’œuvre. La danse est un art abstrait qui peut vous emmener où vous voulez. Cependant, les textes et les images déterminent les événements du spectacle et ouvrent d’autres fenêtres de réflexion. Pour moi, Golden Age est une performance aux multiples facettes.

Quelle est la signification de la sculpture qui est suspendue à un certain moment de la performance ?

Cette sculpture de l’artiste Petros Touloudis représente un oiseau qui tombe au sol ; ses ailes sont brisées, mais il se transforme en cœur. C’est une référence à un chandelier d’église qui apparaît dans la scène de Golden Age où je parle de mes croyances, principalement de ma foi en l’humanité.

Vous avez donné, parmi vos pièces précédentes, votre version personnelle de plusieurs chefs-d’œuvre du ballet classique. Quelle est votre relation avec la tradition ?

Ce qui m’intéresse, c’est de voir autrement  l’histoire de la danse et les œuvres classiques, et de les revisiter au fil du temps. J’ai chorégraphié presque toute la trilogie de Tchaïkovski, un compositeur que j’apprécie beaucoup en tant que personnalité et en tant que compositeur  (Le Lac des cygnes, La Belle au bois dormant et meme deux versions de Casse-Noisette). Mais j’ai aussi beaucoup travaillé sur Stravinsky avec Les noces et le Sacre du printemps. J’ai également travaillé sur Daphnis et Chloé et le Boléro de Maurice Ravel, ainsi que sur d’autres pièces musicales importantes. Je garde un contact vivant avec la tradition ; ces dernières années, j’ai essayé de créer des œuvres hybrides à la GNO, qui incluent les chorégraphies originales d’œuvres classiques, mais aussi mes propres créations davantage néoclassiques. Même dans Golden Age, le grand  pas de deux est une ode au ballet classique.

Y a-t-il des artistes ou des personnalités dont vous reconnaissez l’influence au cours de votre formation ? Ou plus simplement, certaines personnes dont vous pensez qu’elles vous ont ouvert l’esprit ?

Je le dis dans le spectacle à travers la liste des choses auxquelles je crois : de nombreuses personnes m’ont influencé d’une manière complètement différente, chacune dans leur domaine qu’il s’agisse de la danse ou du théâtre, du cinéma, des arts visuels, de la littérature, etc. Je crois en Madonna, Seferis, Tchaïkovski et Francis Bacon ; je crois en Da Vinci, Visconti, Fellini, Verdi et Dostoïevski ; je crois en Gene Kelly, Baryshnikov, Zaha Hadid, Marilyn Monroe, Marlon Brando, Bob Fosse, Rembrandt, Kate Moss et David Bowie ; je crois dans la lecture de romans sous le soleil ; je crois en Pina Bausch, aux artistes morts du sida, aux architectes des pyramides, du Panthéon, du Parthénon, de l’Empire State Building, de Santa Pakou, et bien d’autres encore.

Lorsque vous êtes arrivé à la direction, la Compagnie était-elle seulement classique ? L’avez-vous modifiée ?

J’ai d’abord essayé de créer un nouvel environnement de confiance dans le groupe lui-même. La compagnie compte aujourd’hui soixante danseurs, mais plus de vingt-cinq d’entre eux ont une cinquantaine d’années. Ce n’est pas toujours facile de s’unir et de découvrir la valeur de différentes choses dans un groupe aussi important. Le ballet a une hiérarchie, et c’est quelque chose qui était considéré comme acquis dans le groupe. Mais je crois à l’amour de la danse et à notre développement à travers elle. Je voulais donc que chacun comprenne la valeur du partage et de l’évolution. Cela n’a pas été évident mais ceux qui l’ont compris sont aujourd’hui des danseurs heureux. Le groupe peut maintenant danser tout type de répertoire et ceci est très important pour moi. Depuis que je suis ici, avec la complicité du directeur artistique de l’Opéra national de Grèce, M. Giorgos Koumendakis, nous avons décidé de nous concentrer sur les pionniers de la danse et sur les nouveaux chorégraphes dont le travail est important pour la compagnie de ballet. Nous avons donc invité Nacho Duato, Jiri Kylian, Ohad Naharin, Goecke, Ekman, Inger, Soto, Clug, et ce ne sont là que quelques-uns des chorégraphes pour lesquels le groupe s’est produit car il y a aussi de nombreux chorégraphes grecs invités.

Vous êtes toujours danseur. Dansez-vous souvent vous-même dans vos pièces ?

 Je n’aime pas trop apparaître comme interprète dans mes pièces, mais je le fais de temps en temps.

Vous n’êtes pas seulement chorégraphe mais aussi artiste visuel, metteur en scène… A quel moment avez-vous décidé que la danse serait le centre de votre créativité ?

J’ai décidé très tôt, au début des années 90, que la danse serait devenue le centre de ma créativité. Le théâtre, les vidéoclips et la photographie ont suivi plus tard.

Vous ne travaillez pas avec une équipe habituelle de collaborateurs. Vous les  trouvez souvent sur Instagram. Pour quelle raison ?

 Ce qui m’intéresse, c’est de découvrir de nouveaux collaborateurs et de parler à des personnes différentes à chaque fois, ce que permet notamment Instagram. ; je pense que cela élargit mes horizons. Cela résulte en partie des étapes très différentes que j’ai traversées professionnellement, du contexte dans lequel je chorégraphiais et de l’organisation dont je faisais partie. L’ère OKTANA a certainement été une période importante, suivie de la phase de danse-théâtre NTNG, puis de l’époque des grands spectacles à techniques mixtes (danse, théâtre, musique). Aujourd’hui, je travaille à l’Opéra national grec. Le tournant se situe en 2000 lorsque, après mon passage dans le groupe, je me suis retrouvé au sein de grandes organisations où j’occupais à la fois des postes de responsabilité administrative et des rôles créatifs.

Il est difficile de donner une définition de votre style : vous utilisez le style classique, moderne et les spectacles. Pourrions-nous dire gothique ?

Non, je crois que je fais de la pop métaphysique.

Vous travaillez aussi beaucoup pour la télévision, peut-être aussi pour des clips de chanteurs ? Vous avez une sorte de polyvalence comme celle de Jerome Robbins.  Sauf que vous réunissez différents styles dans une même pièce !

D’une certaine manière, oui, mais pas dans toutes mes pièces. Golden Age est une exception.

Athènes, 9 mai 2025

 

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