Alain Buffard

Du 6 au 8 Octobre dernier le CND a organisé le colloque  ALAIN BUFFARD(1960 – 2013), dédié à l’œuvre de l’artiste. Elle plonge le public dans le contexte médico-social de la fin du 20ème siècle affrontant le sida* dans des « chorégraphies de résistance » pour soutenir les actions d’Act’up et rendre visible ce qu’une majorité conservatrice de la société s’efforce de masquer et rejette. L’immuno-déficience acquise d’origine virale (VIH) est mortelle à cette époque malgré le traitement par AZT (azathioprine ou retrovir commercial). Le soir de la première journée du colloque deux pièces ont été présentées.

La première, Good Boy (1998) a été interprétée par Matthieu Doze . Nu, de face, debout en fond de scène, il scotche son pénis, enfile une dizaine de slip blanc kangourou puis s’avance vers un paquet d’AZT – boites bleutées symboliques -, se fabrique avec celles-ci des haut talons fixés par des bandes de sparadrap, déambule avec un déhanché de femme, se saisit d’un paquet de boites qu’il sème sur le plateau… alors qu’une voix ferme répète « Good boy, good boy… , well done…, excellent… ». Il esquisse quelque pas bien classiques bien conformes sur quelques notes bien douces de J-S Bach, contrastant avec les bruits de scratch, frottements, chocs…  qui emplissaient le silence, relayé par l’air puissant New York New York ; puis les slips s’enlèvent, s’empilent et recouvrent une petite bougie (un cierge ?…). Assombrissement. Disparition. Noir.

La difficulté de reprendre Good Boy tient dans à la double performance, celle du corps dansant qui est la narration même du drame et celle de se glisser dans la chair même du « personnage » de Good Boy puisque le solo, à l’origine, est exécuté par Alain Buffard, lui-même atteint par le virus, affirmant dans le sillage de Michel Foucault, la singularité de sa pensée et la liberté sexuée d’être.

Le paradoxe de la solitude / multitude humaine, de l’état personnel / impersonnel, est avivé par la pièce Mauvais Genre (2003). Tel un miroir brisé qui réfléchit et démultiplie, 14 artistes sont là, présents. Hommes et femmes, nu-e-s, scotchent leur sexe, s’affublent des mêmes slips qui, cette fois-ci, couvrent fesses, épaules, jambes, têtes… de manière inventive et grotesque. Ils déambulent, s’entremêlent au sol, tentent des équilibres précaires et s’affalent immobiles au milieu des boites d’AZT et de petites bougies… . Elles vont servir à former un chemin lumineux traversant le plateau, laissant à chaque spectateur le soin d’imaginer sa sortie…, renvoyé au sentiment d’être, à son identité.

La tenue bouffante informelle qui transforme, enfle et se défait, caricature de la couche-culotte infantile et de la protection contre l’incontinence due à l’âge ou la maladie, rappelle la vulnérabilité du corps glorieux, pourtant si beau, si fort.

La reprise le même soir de ces 2 pièces renforce, en télescopant le temps qui les sépare, un message intemporel, celui de la réalité contemporaine du sida (et autres souffrances) et celui d’affirmer et d’accomplir sans délai son trajet de vie.

* Un autre exemple du face-à-face récurrent danse – sida a été le discours dansé de Bill T. Jones, à partir « d’ateliers de survie » suivis par des patients en phase de sida déclaré, repris dans Still Here (1994), contestés par une journaliste américaine renommée en tant que « art victimaire » (B.Jones, 2013, Je suis une histoire, Actes Sud, livret où il évoque Arnie Zane (1948 – 1988) son compagnon et la compagnie du même nom en son hommage).

                                                                                                                                                                       Jocelyne Vaysse

 

 

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