Resilient man

Le cinéaste réalisateur Stéphane Carrell produit à nouveau un film remarquable sur la danse Resilient Man. Il fait part aux spectateurs d’un fait tragique, captant le moment même où le danseur étoile du Royal Ballet de Londres Steven McRae, en plein élan pendant la représentation, s’effondre brutalement sur scène et git au sol. Le rideau se referme, l’orchestre interrompt la partition, la douleur aigue due à la rupture du tendon d’Achille foudroie l’artiste incapable de se relever.

Ce film documentaire propose, par une approche humaine, le portrait sensible de cet artiste de la trentaine parvenu au sommet de sa gloire ; lui-même commente avec honnêteté et humilité son trajet de vie, expose ses enthousiasmes et ses lassitudes, entouré par les interventions des professionnels de santé, les réactions de son entourage, notablement de sa femme. On suit le processus de rééducation et de réparation au plan physique aussi bien que psychologique.

Steven McRae dit n’avoir jamais envisagé l’arrêt de sa carrière, pourtant a priori très compromise par la gravité de sa blessure, mais si cette option mentale l’éloigne d’emblée d’une dimension victimaire, serait-elle de l’ordre d’un déni et d’une utopie ?

Face à l’adversité, et au-delà du temps immédiat médico-chirurgical, une année s’écoule consacrée à une immobilisation forcée avec un pied droit vite enserré dans une botte plâtrée sans appui, lui donnant insidieusement enfin du temps…pour une réflexion introspective.

L’exigence extrême de cet art et sa vie privée s’accompagnent de prises de vue éloquentes et de dialogues sans fards.

Il est aussi cet homme ordinaire dans le métro londonien regagnant son domicile, accueilli chaleureusement par ses trois jeunes enfants et sa femme.

On apprend son enfance en Australie dans la banlieue de Sydney, le père garagiste, la vision vertigineuse d’un cours de danse suivi par sa jeune sœur déclenchant son envie irrépressible de danser, le départ pour Londres et l’école du Royal Ballet vécue dans la solitude, dominée par sa ténacité, après avoir remporté le premier prix du concours prestigieux du Prix de Lausanne en Suisse, son apprentissage sans répit du vaste répertoire classique. Il témoigne de son ressenti : « « J’avais le sentiment d’être libre. C’était la première fois que je ressentais ça. C’était extraordinaire et je ne voulais pas que ça s’arrête. Jamais. ».

Le processus de résilience se poursuit, suggéré par le sous-titre du film « Danser malgré tout ».

Ce corps entrainé, pourtant si athlétique, apparaît bien vulnérable ; marcher quelques pas avec béquilles est une véritable épreuve. Souffrance, douleurs et faiblesses musculaires se combattent grâce à un « programme spécial » concocté par des kinésithérapeutes et autres soignants et coachs (massages, pratique du Pilates, musculation…), grâce également aux encouragements d’ami-e-s et surtout de sa femme Elisabeth Harrod. Car, de l’autre coté du miroir, il y a cette danseuse experte et amoureuse dont on comprend qu’elle a finalement renoncé à sa carrière, venant ternir en filigrane le parcours jusque là exemplaire de son mari.  

Steven McRae reconnaît son attrait immodéré pour la performance à l’image des sportifs de haut niveau, son attitude irréfléchie et égocentrique centrée quasi exclusivement sur sa carrière et son autosatisfaction, la négligence d’alertes physiques successives, l’imprudence d’une alimentation désastreuse et le recours aux médicaments (vitamines, anti-douleurs…) avant la chute fatale.

Mais alors, un corps dansant peut-il supporter une telle blessure, engendrer une réponse créative ou sublimatoire, comptant sur la plasticité psycho-corporelle ?

Le corps maltraité parle. Steven est confronté au handicap dont il faudra faire une force ; il confirme avec un certain humour son inattention antérieure, l’abnégation de sa femme et son aide indéfectible.

Les efforts qu’il doit fournir sont considérables. Pas à pas, il se remuscle, renforce sa cheville, reprend humblement à la barre le vocabulaire posturo-gestuel, compare les difficultés des pas et sauts. Le film privilégie les tentatives prudentes et les limites à surmonter, à dépasser, en salle de répétition, et encore les progrès avec ses partenaires dans les duos et les portés, plutôt que l’apothéose des passages chorégraphiques grandioses sur scène.

Il gagne son défi en dansant le Lac des cygnes, après la réhabilitation exceptionnelle liée à son travail soutenu lui redonnant sa place au sein du Ballet.

Casse-noisette l’attend ensuite. Mais à la veille de ce ballet, cette fois-ci conscient des limites de son corps, il est obligé de déclarer forfait  pour un incident au molletSon obstination et sa dévotion au travail, le poussent à reprendre les répétitions de Rhapsody de Frédérick Ashton qui inclut un solo extrêmement acrobatique composé avec des grands sauts. La scène est pour lui et le jour du spectacle sa performance est unique.

Il explique sa motivation acharnée par ses paroles « Danser, c’est la liberté » !

Le portrait humain de Steven McRae réalisé par le film touche d’une part par sa profondeur en mettant clairement en évidence les faiblesses corporelles et psychiques qui marquent la carrière d’un danseur étoile, et d’autre part, sensibilise sur les modalités d’accompagnement d’un point de vue de la santé des corps de danseurs, répondant aux nécessités d’être reconnus comme de vrais sportifs.   

Paris-Sortie 17 avril 2024

Antonella Poli-Jocelyne Vaysse

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