Afterite+Lore

Chorégraphie : Wayne McGregor

Distribution : Les premiers danseurs, les solistes et le Corps de Ballet du Théâtre La Scala de Milan

Musiques : Igor Strawinsky

Le chorégraphe Wayne McGregor est de retour au Théâtre La Scala de Milan après trois ans d’absence. Dans la saison 2018-2019 et précisément en Avril 2019, le Corps de Ballet milanais avait présenté Woolf Works, pièce dédiée à l’univers de l’écrivaine Virginia Woolf.

A partir du 24 juin jusqu’au 7 Juillet 2022, une entière soirée est consacrée aux œuvres du chorégraphe anglais rendant hommage aussi à la musique d’Igor Stravinsky. Il reprend pour la compagnie After Rite, pièce créée en 2018 pour l’American Ballet Theater et en première mondiale il présente Lore, une nouveauté absolue.

Le style de Wayne McGregor est marqué par une forte physicalité. Bien que clairement situé dans la continuité de la danse académique, les positions et les pas de ses chorégraphies sont conçus de manière ultramoderne. L’hyper-flexibilité omniprésente des danseurs d’aujourd’hui est testée sans relâche. Leurs jambes dépassent les extensions et les positions dictées par la danse classique tandis que leur colonne vertébrale semble rouler et se courber sinueusement comme celle des serpents. Souvent, ces mouvements sont visuellement somptueux : une fluidité magnifique est véhiculée par des corps magnifiquement à l’aise avec ces ondulations musculaires.

After Rite est une relecture du célèbre Sacre du Printemps, monument de l’histoire du ballet qui scandalisa le public lors de sa première représentation à Paris en 1913 au Théâtre des Champs Elysées. Vaslav Nijinsky signa la chorégraphie, c’était l’époque des Ballet Russes, dirigés par Serge Diaghilev. Puis, comment ne pas se souvenir de la version de Pina Bausch, envoutante par sa force et par l’esprit de sacrifice incarné par l’Elue ?

Wayne McGregor remanie l’argument avec sa sensibilité contemporaine valorisant le sentiment de rivalité existant entre les êtres humains et sans oublier l’épisode du sacrifice  qui, dans cette version, coïncide avec le meurtre d’un enfant par sa propre mère. En fait After Rite est inspiré de Silent Spring, le livre de Rachel Carson qui met en garde l’humanité sur les effets des pesticides sur la nature. Le paysage aride du désert Atacama au Chili accueille une communauté d’hommes contraints à lutter pour survivre.

Les éléments caractérisant le style du chorégraphe sont tous bien présents et les interprétations des premiers danseurs Marco d’Agostino, Nicola del Freo et Christian Fagetti sont remarquables. Ils maîtrisent leurs corps auxquels on demande une grande force expressive et la capacité à se rendre fluides, libérés des positions de la danse classique. Cela constitue une raison pour apprécier l’évolution stylistique de ces danseurs et leur maturité vis-à-vis d’une écriture chorégraphique à laquelle ils ne sont pas habitués. Dans After Rite, la figure majeure est incarnée par cette mère qui doit défendre elle-même et ses enfants, en vain.  La sublime Alessandra Ferri interprète ce rôle créé par elle-même en 2018 avec l’American Ballet : avec son physique apparemment si fragile, elle se plonge dans son personnage en dégageant toute sa force expressive qu’on lui connait. Dans les pas de deux, elle est à la fois sensuelle et troublée, elle essaie de s’opposer au destin tragique de son enfant malgré sa protection dans un cube qui symbolise une sorte d’oasis.

Alessandra Ferri et Marco Agostino-ph.Brescia Amisano

Complètement transparente et éclairée par une lumière claire, cet endroit représente un lieu préservé pour les plantes en opposition au paysage qui l’entoure. En fait, le reste de la scène est totalement plongé dans une atmosphère sombre, ténébreuse, inanimée. La structure de la chorégraphie, parfois pas trop explicite d’un point de vue de la dramaturgie, alterne des moments avec des solos avec d’autres où la choralité du groupe des danseurs est au rendez-vous. L’exigence de l’être humain de dominer « l’autre » se manifeste dans les scènes où une figure féminine (Martina Arduino) s’impose sur son groupe (Caterina Bianchi, Maria Celesta Losa, Virna Toppi).

Lore, la création pour le Ballet du Théâtre La Scala, fait référence à un autre monument de l’histoire du ballet, Les Noces de Bronislava Nijinska créé à Paris en 1923 par Les Ballets Russes dont la chorégraphe, sœur du célèbre danseur Vaslav Nijinsky, était la directrice. Aujourd’hui, Wayne McGregor signe sa nouvelle version s’inspirant du rituel des Noces et en utilisant un langage chorégraphique fortement inspiré de la musique parfois brutale de Stravinsky avec ses timbres acides, son aspect percussif martelé et le chant avec ses sonorités peu lyriques. La chorégraphie séduit dès le début : Claudio Coviello montre toute la plasticité de son corps comme si sa matière se dissolvait, les lumières appropriées le valorisent.

Puis, le trio composé par Nicoletta Manni, Alice Mariani et Virna Toppi ouvre la succession des groupes des danseurs qui se forment ou se défont suivant les sonorités de la partition. Chaque geste suit le rythme et chaque membre du corps incarne les notes de la musique. La rapidité des mouvements et de l’alternance des danseurs sur scène est vertigineuse ! Au fur et mesure que le ballet progresse on est envouté par le dynamisme et la force des interprètes : on ne peut pas le suivre en cherchant un fil conducteur, il faut se laisser porter par toutes ces images de couple ou de groupe qui créent une unité et une atmosphère chorégraphique puissante, homogène avec le chœur et l’orchestre. Le premier danseur Timofej Andrijashenko se fait remarquer dans son solo où la profondeur de l’exécution des mouvements valorise son corps sculptural.

Lore offre aussi une ouverture sur le sens du rite des noces. Le final présente trois couples formés par deux femmes, deux hommes et une femme et un homme. C’est l’évolution d’esprit de notre société qui suit celle d’un style chorégraphique s’imposant dans toute sa modernité. Lore, encore plus qu’After Rite, est un succès pour la compagnie du théâtre milanais et pour le public qui le salue avec de longs applaudissements.

M

Milan, Théâtre La Scala, 24 Juin 2022

Antonella Poli

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