Inner Dialogue

Chorégraphie : Eva Kolarova

Musiques : Maggie Ayotte

C’est le troisième duo insolite du Festival des Arts de Saint-Sauveur, à la fois réel, dansé dans les Laurentides du Québec et d’autre part virtuel, filmé et transmis par internet, faisant vivre ainsi « en direct  différé » une double œuvre. Au programme cette semaine, Inner Dialogue,  résultat de la création d’une chorégraphie d’Eva Kolarova et d’une composition musicale pour cor de Maggie Ayotte interprétée par Louis-Philippe Marsolais.

Interviewée par Yannick Nézet-Séguin, la musicienne dit avoir vécu une solitude pénible et un vrai plaisir en réponse au projet d’une partition nouvelle « pour un instrument qui respire» « qu’il faut faire respirer avec le musicien », bien différent à ce point de vue des enfilades de jeux au piano.

Quant à Eva Kolarova, d’origine tchèque, ex danseuse de compagnies de ballet prestigieuses (Opéra national du Rhin, Les Ballets Jazz de Montréal et les Grand Ballets Canadiens), Guillaume Côté, directeur du Festivalla questionne en visio conférence : « Y aura-t-il un changement particulier à l’issue de cette période ? » Notant la dimension « historique » de la situation, Eva – par nature optimiste – souligne que c’est aussi un temps propice à s’arrêter, à regarder ce que l’on essaie souvent « de ne pas voir » ; c’est à dire une deuxième chance pour une introspection…suscitant des actions.

Sur fond de bruit de clapotis d’un lac et d’images d’un parc empli de promeneurs, les deux femmes -Eva et Maggie –  expriment leur motivation et leur enthousiasme réciproque dont, pour la danseuse, des essais à domicile avec et autour d’une chaise, réfléchissant alors à « un voyage intérieur » et à une approche différente de l’espace. Matériellement restreint à la maison, il se conçoit aussi en tant que déploiement large de son esprit, dit-elle en ouvrant généreusement ses bras aux seuls sons du cor. Les variations tonales vont des graves profonds aux notes plus hautes chargées d’espoir, stimulant l’imagination de la danseuse.

Eva Kolarova-ph.Kieve Pauzé

Assise sur une vieille chaise au sein de la forêt, dans une posture repliée, Eva nous confie en mots tchèques que « l’isolation est source d’inspiration, bénédiction ou malédiction, sans avoir à fournir d’explications à quiconque sauf… à soi-même, à la recherche de « la lumière ». Ses bras et jambes se déplient, le torse se redresse, extériorisant des émotions intérieures sous les gammes nuancées et prolongées du cor : expansion, rétraction, évocatrice des contractions-releases grahamiennes,  reprise du souffle, battements des bras tels des ailes, ruades et pédalages énergiques …

Dans la plupart des cas, ces mouvements naissent de la partie centrale du corps de la danseuse, près du plexus,  se repliant sur elle-même pour tendre vers l’extérieur. Malgré leur diversité, la gestuelle conserve la même pureté, une telle fluidité dégageant une légèreté profonde.  La chaise symbolise son espace intérieur dans lequel ses émotions et ses sentiments se développent, se contrastent. Eva quitte la chaise, tournoie autour et l’enjambe, la traine sur le plateau entouré de hautes fougères, teste la spatialité. Elle s’empare alors de cet objet et l’enserre avec une certaine tendresse, esquisse quelques pas valsés avec ce partenaire occasionnel improvisé sous les sons d’abord mélodieux et aigus qui, progressivement, s’assombrissent et marquent un arrêt.

Le dialogue avec la musique – le jardin intérieur -, reprend autrement en assumant un rôle libératoire : le corniste rejoint la danseuse dans le silence, s’installe sur la chaise et joue à nouveau, animant en écho la danseuse. Cet échange presqu’ intime ressemble à une vaste respiration commune emprunte d’élans, de tours et d’arabesques… 

Mais l’homme se lève et s’éloigne ; et elle, désemparée, monte sur la chaise. Statique, dans une gestualité au ralenti, elle voit la silhouette s’engager dans un chemin qui pénètre la forêt. Solitaire, livrée aux « piou-iou » des oiseaux, elle est là, dans un mouvement magnifiquement en suspens qui invite à un « dialogue intérieur »…

Vers lequel, nous spectateurs, sommes aussi discrètement dirigés. Poursuite d’une méditation personnelle initiée par la danse ?  

19 Juillet 2020

Antonella Poli et Jocelyne Vaysse

 

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