Solitude/Yielding

Chorégraphie : Margie Gillis

Musiques : Marie-Pierre Brasset

Margie Gillis-ph.André Chevrier

Une grande dame de la danse canadienne, artiste engagée, Margie Gillis, est la chorégraphe et interprète de ce quatrième solo présenté dans le cadre de la Solitude Partagée, version numérique de l’édition 2020 du Festival des Arts de Saint-Sauveur. Elle est accompagnée par la composition musicale de Marie-Pierre Brasset. Dans le prologue filmé qui précède la captation de la création, la compositrice dit sa hâte de rencontrer -par écran interposé- Margie Gillis et sa capacité à investir l’espace. L’inspiration musicale prend ici sa source dans la vision de la liberté des mouvements et de leur lyrisme. Elle se dit intriguée par les temps de réception et d’agir dansé constituant une sorte de « trame narrative » musicalement inspirante. La jeune et superbe altiste de l’Orchestre Métropolitain Elvira Misbakhova, qui s’entraine en présence de son chien, en sera l’interprète.

Margie Gillis livre  sa peine personnelle à surmonter le décès récent de sa mère. Saisissant dans un mouvement circulaire son magnifique chat qui passait à proximité pendant ses essais créatifs à domicile, elle démontre une gestuelle large emprunte d’élan et de relâchement, et  un corps qui se déploie avec grâce et souplesse ; elle cite les apports de thérapeutes dont Jung, ainsi qu’une influence bouddhiste.

Alors qu’Elvira s’avance joliment le long d’une rivière, violon en main, Margie Gillis démarre son solo dans la forêt boréale aux sons saturés de notes musicales, bruits de ruissellement et chants d’oiseaux, nous emmenant dans sa danse traçant un cheminement intérieur.  Assise, jambes ouvertes dans une large jupe aussi verte que les feuillages, ses gestes doux caressent son visage, ses bras s’animent alors que son dos se cambre.

 Les notes du violon enflent, plus puissantes elles incitent son corps à se lever et à nous livrer une danse libre et fluide, émouvante par sa spontanéité. Debout sur de larges pierres moussues, elle tournoie et secoue sa longue chevelure blonde. L’émotion, qui se dégage de ce duo artistique, emplit le sous-bois traversé par le vol d’oiseaux. D’une certaine façon, à travers sa chorégraphie, elle nous propose une forme de transcendance qui rend possible la mise en relation avec son univers intérieur. Le rapport intime avec la nature qui semble l’inspirer nous évoque la pensée du philosophe américain Ralph Waldo Emerson[i], père de la pensée transcendantale américaine et en même temps, son corps délié et sa danse agile et voluptueuse à pieds nus, sublimés, font écho à Isadora Duncan[ii]. D’ailleurs la comparaison entre ces deux grandes femmes de la danse est évident si l’on tient compte de l’engagement de Margie Gillis pour promouvoir la valeur politique et sociale de la danse. La passion inouïe que Margie Gilles dégage est fascinante : ses mouvements apparemment simples, sont d’une intensité vibrante.

Bref arrêt musical, écoulement d’eau, reprise du violon avec une danseuse paraissant égarée, inquiète, mélancolique, accrochant du regard la cime des arbres, en tension vers le ciel et la probable recherche du souvenir d’êtres chers. Miroitement du plan d’eau captant l’ombre de son corps, notes aigues presque stridentes du violon comme un cri déchirant, intérieur et muet.

Dans le silence de la nature et dans un retour à la réalité, son corps attiré par l’eau et sa chevelure dénouée trahissent un vécu douloureux intensifié par les accents du violon. Elle flotte et s’immobilise à la surface telle une Ophélie symbolique[iii], en symbiose -peut-être- avec d’imaginaires âmes errantes peuplant cette Nature.

Elvira, pieds nus sur la berge humide, égrène ses dernières notes alors que le visage apaisé de Margie se fige sur une pierre qui affleure.

Elles nous laissent, songeurs et nostalgiques, en compagnie de l’infini écoulement bruissant du ruisseau…et de l’inexorable fuite du temps.   

 

Antonella Poli et Jocelyne Vaysse

[i] Ralph Waldo Emerson (1803-1882), philosophe américain qui dans son ouvrage Nature (1836) incite l’Homme à retrouver son Soi, son Esprit dans la nature

[ii] Isadora Duncan dans son livre, Ma vie écrivait: « La danse, à mon avis, a pour but d’exprimer les sentiments les plus nobles et les plus profonds de l’âme humaine, ceux qui viennent d’Apollon, de Pan, de Bacchus et d’Aphrodite. Elle doit établir dans notre vie une harmonie chaleureuse et vivante ; et c’est lui faire injure que de voir seulement en elle un divertissement frivole ou agréable »

[iii] Ophélie est un personnage de fiction de la pièce tragique Hamlet de William Shakespeare, publié en 1603. Elle est représentée, étendue et flottante par noyade, entourée de fleurs et de plantes sauvages, dans la célèbre peinture de John Everett Millais (1851) (Tate Gallery, London).

 

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