Mayerling

Chorégraphie : Kenneth MacMillan

Distribution : Les étoiles, les premiers danseurs et le Corps de Ballet de l'Opéra de Paris

Musiques : Franz Liszt

Dorothée Gilbert et Hugo Marchand-ph.Ann Ray

Mayerling est la production tant attendue de cette nouvelle saison 2022/23 du Ballet de l’Opéra de Paris, après son report de mai 2020 dû à l’épidémie de la COVID.

Ce chef d’œuvre de Kenneth MacMillan, créé en 1978 pour le Royal Ballet, entre finalement au répertoire de la compagnie. Encore plus que d’autres ballets du chorégraphe anglais, notamment Roméo et Juliette ou L’histoire de Manon, Mayerling offre une analyse psychologique plus profonde du personnage principal, le prince héritier du trône d’Autriche, l’archiduc Rodolphe.

Kenneth MacMillan hérite de Rudolf Noureev l’exigence de valoriser le rôle du danseur masculin : Mayerling est l’histoire dramatique de Rodolphe. Autour de lui, une constellation de femmes, avant tout sa mère, l’Impératrice Elisabeth, la Princesse Stéphanie, son épouse et des amantes dont la Comtesse Marie Larisch, la Baronne Mary Vetsera et Mizzi Caspar. Avec elles, Rodolphe dansera les sept pas de deux fondamentaux du ballet, cruciaux pour comprendre son caractère et parcourir son histoire dramatique.

Mayerling-ph.Ann Ray

Le Ballet

Le ballet se déroule à la cour des Habsbourg sous le règne de François-Joseph I, père de Rodolphe et époux de la célèbre Impératrice Sissi. La décadence de l’Empire, malgré ses fastes, se reflète dans les mœurs des aristocrates de l’époque, étouffés et dominés par les jeux d’apparence et le respect de règles rigides qui marquent leur vie. Dans ce contexte, l’archiduc Rodolphe est psychologiquement le plus faible. Il enchaîne les maîtresses, s’éloigne de son épouse la Princesse Stéphanie depuis le jour de leur mariage. Sa sensibilité blessée depuis son enfance du à l’éloignement de sa mère, fait de Rodolphe à la fois un libertin et un homme rongé par ses remords et sa conscience, en proie à des sentiments violents et cyniques, dépassé par des pulsions de plus en plus incontrôlables.

Les pas de deux sentimentaux de Kenneth MacMillan caractérisent son vocabulaire, devenant encore plus affirmés dans Mayerling : ils donnent au chorégraphe les moyens d’exprimer à la fois la violence et la passion sexuelle qui animent son univers sentimental y compris sa quête d’amour et la mélancolie envers ses anciennes liaisons.

Les pas de deux entre Rodolphe, Mary et la Comtesse Marie Larisch en sont des exemples.

Mais ils sont aussi l’expression d’un mouvement introspectif sondant la mémoire affective de l’archiduc, notamment quand il danse avec l’Impératrice Elisabeth.

Un danseur avec cinq partenaires, donc, étiquetant les différentes passions amoureuses du protagoniste. Les étoiles Hugo Marchand et Paul Marque ont incarné dans les soirées du 25 et 27 octobre dernier le difficile rôle de Rodolphe. Le premier a offert une interprétation plus intimiste alors que le deuxième a magistralement su rendre sur scène les différentes facettes de la personnalité de son personnage en valorisant toutes les nuances psychologiques.

Après le prologue et un flash-back sur l’enterrement de la jeune Mary Vetsera, le ballet commence avec le mariage entre Rodolphe et la Princesse Stéphanie qui est toute de suite humiliée par son époux qui flirte sans gêne avec la princesse Louise (sœur de Stéphanie) et rencontre la Comtesse Marie Larisch (les premières danseuses Hannah O’Neill dans la soirée du 25 et Héloïse Bourdon le 27 octobre), son ancienne amante. Malgré ses avances et son attachement charnel sincère envers l’archiduc, il n’a plus aucune considération pour elle.

Les deux danseuses nous ont fait rentrer dans la vie tourbillonnante de leur amant : la première, offrant une performance malicieuse et audacieuse, la deuxième jouant sur l’élégance de ses mouvements.

Puis, Rodolphe rencontre sa mère dans ses appartements : son élan et son désir d’affection se  heurtent à la froideur et au rejet manifestés par l’Impératrice (l’étoile Laura Hecquet le 25 octobre et la première danseuse Roxane Stojanov le 27). Le pas de deux, où Rodolphe se jette contre la poitrine, est dansé avec intensité, toute la cruauté de son indifférence émerge sans faille.

En même temps, le rapport avec son épouse Stéphanie assume des teintes sombres : comme pour se venger de l’attitude de sa mère, Rodolphe accueille la jeune femme dans leur chambre avec une tête de crâne. Dans le pas de deux qui suit, elle est bousculée, maltraitée, manipulée comme un objet, privée de moyens pour se défendre.

Le deuxième acte se déroule dans une taverne fréquentée par des prostituées et leurs clients, dans une atmosphère joyeuse.

L’archiduc Rodolphe, émoustillé par l’ambiance, se retrouve en porte-à-faux vis à vis de sa femme qui l’accompagne, si bien que celle-ci s’éloigne, installant un climat de tension entre eux.

Quelle meilleure occasion pour le jeune homme de se jeter dans le bras de Mizzi Caspar, femme exubérante, séduisante, capable de réveiller et de satisfaire ses instincts passionnels. L’étoile Valentine Colasante et le sujet Eléonore Guérineau qui ont dansé dans le rôle de Mizzi ont incarné leur rôle avec toute la malice et les pouvoirs de séduction nécessaires à s’accaparer Rodolphe.

Valentine Colasante-ph.Ann Ray

Cet acte met aussi en scène la première rencontre intime entre la jeune Mary Vetsera âgée de dix-sept ans et Rodolphe. Elle est une femme entreprenante, sensuelle et décidée à conquérir l’archiduc. Le contraste avec le caractère plus faible de la Princesse Stéphanie est évident : cette fois-ci c’est elle qui offre la tête de mort à son amant. Elle enflamme la passion : les deux amants se lancent dans des pas de deux vertigineux, acrobatiques.

Notamment, les arabesques de Mary lui donnent l’élan pour atteindre Rodolphe, glisser sur son dos, se retourner à la verticale…

Leurs corps s’entremêlent, dominés par une forte attirance réciproque qui les amène jusqu’à un état d’extase. Les étoiles Dorothée Gilbert avec Hugo Marchand le 25 octobre et Hohyun Kang avec l’étoile Paul Marque le 27 octobre ont donné des frissons au public.

Hohyun Kang mérite une particulière attention : la jeune coryphée a maîtrisé son rôle avec assurance et la fraîcheur de ses vingt-six ans. Elle a créé la surprise en étant distribuée dans cet important ballet.

L’épilogue

Le troisième acte marque l’épilogue tragique : Rodolphe est de plus en plus affaibli, troublé, ses pas sont lourds, son visage se transforme. Mary s’approche de lui, l’embrasse…inaugurant un autre pas de deux démesuré et effréné où leurs corps passionnés se touchent et s’accolent voluptueusement. Le revolver est toujours là, envahissant leurs pensées jusqu’à ce que Mary le pointe sur Rodolphe. La musique de Franz Liszt, surtout la Valse mélancolique et la Valse oubliée n.2 où les notes du piano valorisent l’inquiétude et les états d’angoisse, augmentent la tension. La douceur de la harpe introduit les derniers moments du couple. Mary tente en vain de conquérir son amant complètement dévasté et impotent qui tente de se calmer avec une dose de morphine. Les deux protagonistes s’abandonnent à leur dernier pas de deux envoutant qui conduira au meurtre de Mary par Rodolphe, suivi de son suicide.   

Le style de Kenneth MacMillan basé sur le langage classique atteint son sommet en termes d’expressivité et d’intensité. Chaque interprète de ces deux soirées auxquelles nous avons assisté, des artistes du Corps de Ballet aux Etoiles, ont su incarner l’œuvre qui demande un important engagement vis-à-vis de la complexité troublante du sujet.

Jusqu’au 12 Novembre 2022

Paris, Opéra Garnier, 25 et 27 Octobre 2022

Antonella Poli

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