Soul Kitchen

Chorégraphie : Angelin Preljocaj

Musiques : 79D; musique additionnelle : Rossini, The Doors, Wagner

Soul Kitchen-ph.Jean Claude Carbonne

Le G.U.I.D (Groupe urbaine d’intervention dansée), créé au sein du Ballet Preljocaj en 1998, a déjà comme propos la diffusion de la danse et la sensibilisation des publics dans des lieux inhabituels, notamment des quartiers défavorisés et des milieux pénitentiaires. Au vu de la réponse très positive de ces initiatives, Angelin Preljocaj a décidé cette année, de mener directement des ateliers chorégraphiques avec des détenues de la prison des Baumettes II de Marseille. Les contraintes administratives réglées, le chorégraphe a pu commencer à travailler avec cinq femmes de différents âges, toutes condamnées à des longues peines mais déjà soldées pour moitié.

Aucune d’entre elles n’avait jamais dansé. Angelin Preljocaj a dû s’interroger sur l’approche à adopter, d’autant plus que la danse est un langage codifié soumis à des règles bien précises de mémoire du corps. En outre, il s’agissait de cinq femmes qui, à cause de leur emprisonnement, connaissent une réduction de leur sensibilité sensorielle : le goût, l’odorat, l’ouïe, la perception de l’espace (elles vivent dans 9 mètres carrés), et la liberté de mouvement.

Ces facteurs ont constitué le point de départ de l’atelier chorégraphique organisé en séances de deux heures et demie, deux fois par semaine, pendant 4 mois. Le réveil des sens et la création d’un langage corporel commun ont été les objectifs premiers d’Angelin Preljocaj, inspiré des lectures de textes d’André Gide, notamment Les Nourritures Terrestres (1897). En dialoguant avec chacune des détenues, il a appris que parfois elles cuisinent, malgré des petites plaques électriques dont elles sont dotées. Soul Kitchen est donc devenu le titre du spectacle, présenté d’abord au Pavillon Noir à Aix en Provence, maison du Ballet Preljocaj, et ensuite, du 23 au 25 juin, au Festival Montpellier Danse 2019.

Les cinq interprètes se mettent en confiance sur scène, en préparant une pâte à biscuits avec des rythmes et des gestes plus codifiés sur des musiques de Rossini : farine, sucre, œufs, pépites de chocolat, rien n’est oublié, elles sont à l’œuvre. Cette première partie est seulement un prologue, qui déjà crée un lien entre le public et ces danseuses « hors normes ». Une fois enfournés les biscuits, elles se placent sur scène : la présence de leurs corps, leurs visages anonymes aux regards profonds fixés vers le public tout à la fois, nous questionnent sur leur passé et nous émeuvent.

D’abord elles explorent les possibilités et les articulations de leurs corps en guise d’un échauffement de danse contemporaine. En suite les mouvements se libèrent, elles embrassent l’espace du plateau avec une danse laissant parler d’abord la fluidité de leurs bras, pour ensuite se développer et devenir aussi véhicule d’expression de leur sensualité. On perçoit la présence d’un esprit collectif : elles se regardent en exécutant leur chorégraphie, attentives à ne pas s’entraver. C’est leur moment de liberté et de renaissance !

Soul Kitchen-ph.Jean Claude Carbonne

La tension monte jusqu’à un solo sur un extrait de Tristan et Isolde de Wagner. Cette jeune interprète semble être née pour la danse : flexibilité, sens musical, elle se donne à fond. Le réveil sensoriel investit aussi le public, imprégné du parfum de la pâtisserie en train de cuire.

La réappropriation de la plénitude du « soi» pour s’affirmer comme individu à travers la danse se manifeste avec le récit de la part de chaque danseuse de vers extraits du Livre III des Nourritures Terrestres de Gide : « Apportez-moi du vin — Que je tache ma robe ! …— Et l’on m’appelle…suivi par la prononciation de leur prénom.

Il faut saluer avec beaucoup d’admiration ce travail humain d’Angelin Preljocaj, qui n’a rien négligé en nous donnant une vraie pièce chorégraphique, construite avec générosité et engagement, avec toutes ses capacités avérées que l’on apprécie.

Les interprètes saluent le public en partageant leur délicieux biscuits, un moment unique d’intégration.

Montpellier, Agora-Studio Cunningham, 23 Juin 2019

Antonella Poli

 

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