Woolf Works

Chorégraphie : Wayne McGregor

Distribution : Alessandra Ferri, Federico Bonelli, les premiers danseurs et le Corps de Ballet du Théâtre La Scala de Milan

ph.Brescia Amisano

Wayne McGregor, un des chorégraphes contemporains les plus acclamés, présente au Théâtre alla Scala de Milan un de ses ballets, un triptyque, Woolf Works où l’auteur se confronte à l’œuvre littéraire de Virginia Woolf. Sa réflexion est ici bien loin des formes abstraites auxquelles il nous a habitués.

La première des trois parties, I now, I then, est inspirée du roman Mrs Dalloway, daté de 1925. Sur une partition de Max Richter, le ballet oscille entre les mondes intérieurs de Clarissa Dalloway, une femme de la haute société, et de Septimus Warren Smith, un ancien soldat traumatisé. L’action avance et recule dans le temps, les personnages réfléchissant aux événements qui les ont menés jusqu’au moment présent.

Le sens des dimensions émotionnelles croisées, si caractéristique de l’écriture de Woolf, est incisivement réalisé. Le rôle de Clarissa est dansé de manière intense par Alessandra Ferri, de retour sur la scène du théâtre milanais. Alessandra Ferri, qui avait créé ce rôle en 2015 au Royal Ballet, avec ses yeux noirs, ses bras fluides, son physique apparemment fragile, fascine et conquit le public. Elle arrive à donner à la chorégraphie de McGregor une délicatesse rare et palpitante. Caterina Bianchi, en tant que jeune fille de Clarissa, est également très fine, faisant preuve d’une extrême douceur qui ne cache pas tout à fait sa sensualité.  Tous les personnages sont précisément évoqués. Sally (Agnese Di Clemente), est une figurine soignée et plane avec une brillance chatoyante de libellule ; Federico Bonelli dans le rôle de Peter, son prétendant d’autrefois, transmet habilement son charme. Timofej Andrijashenko, quant à lui, trouve une éloquence pathétique dans le rôle de Septimus sous le choc, se déchirant comme pour fuir sa propre peau et regardant avec fougue la silhouette hallucinatoire de son ami décédé, Evans (Claudio Coviello). Dans le roman de Woolf, Septimus et Clarissa ne se rencontrent jamais, mais le ballet les réunit, comme pour partager leurs sentiments. Les allers-retours entre passé et présent sont renforcés par l’éclairage évanescent de Lucy Carter, par la partition élégiaque de Richter et par les décors (portails flottants ressemblant à des cadres) conçus par le cabinet d’architectes Ciguë. Le résultat est aussi parfait.

I know, I then-Alessandra Ferri-ph.Brescia Amisano

 

La deuxième partie, Becomings, basée sur le roman Orlando de 1928, nous rapproche du style plus habituel de Wayne McGregor. Le livre est un roman fantastique, destiné à l’amante de Virginia Woolf, Vita Sackville-West. Orlando, un poète, voyage dans le temps de l’ère élisabéthaine au XXe siècle pour incarner une figure féminine alors qu’il se retrouve en Oriente après une semaine de sommeil. Mais McGregor cache les enjeux liés à la question du genre par un excès d’effets à la Blade Runner. Les lasers coupent la fumée, la musique de Richter et la chorégraphie sont frénétiques, parsemées du lexique de McGregor. La pièce exprime la vitesse fulgurante du roman, mais la particularité de son histoire reste un peu dans l’ombre.  

Dans Tuesday, troisième volet inspiré de The Waves (1931), la soirée retrouve son âme. Il commence par une lecture de la lettre de suicide de Woolf à son mari, écrite avant qu’elle ne se soit noyée dans la rivière Ouse. The Waves est un roman qui suit la vie intérieure de six amis d’enfance à l’âge adulte. C’est une œuvre regorgeant d’images aquatiques, que Hameed et McGregor dissolvent pour représenter les derniers instants de Woolf, alors que sa vie est évoquée dans une série de tableaux qui apparaissent brièvement. Vague après vague, les danseurs entrent en scène sur la partition poignante de Richter, se brisant et tourbillonnant autour de la silhouette désolée de Ferri alors que l’obscurité l’enveloppe. Woolf Works a quelques défauts, notamment dans Becomings. Mais globalement, la pièce est à la hauteur de ses ambitions, la chorégraphie de McGregor étant mise en valeur plus que jamais par une splendide Alessandra Ferri, accompagnée par un bon travail du dramaturge Hameed. Ensemble, ils offrent une expérience bouleversante et honorent le spectacle.

Antonella Poli

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