Blasons Doesdicon

Quelles sont les différences – voire les frontières – entre l’expressivité d’un corps normal et celle d’un corps handicapé ? Et comment l’art de la danse peut-il complètement les effacer ?

La pièce Blasons Doesdicon de François Chaignaud et Tânia Carvalho, présentée au Théâtre des Abbesses du 12 au 16 octobre dans le cadre du Festival d’Automne, nous met face à une réalité artistique capable de dépasser toutes normes corporelles pour faire émerger les pouvoirs du corps.

Les interprètes appartiennent à l’association portugaise Dançando com a diferença, créée en 2001 à Madeira avec le but de faire évoluer l’image sociale des corps handicapés au travers de la danse et de l’art contemporain. Pendant les vingt ans de son existence, la compagnie a pu travailler avec des chorégraphes internationaux, notamment Paulo Ribeiro, Rui Horta, Clara Andermatt, Rui Lopes Graça, Tânia Carvalho et La Ribot. « Nous dansons avec le corps, nonobstant le corps » est leur slogan.

François Chaignaud et Tânia Carvalho mettent à nu l’anormalité des corps des danseurs pour la dépasser et créer un spectacle chorégraphique qui efface tout aspect formel de la danse.

La pièce

Le public du Théâtre des Abbesses est accueilli à rideau ouvert : dans l’attente du début du spectacle, les interprètes, un à un, se succèdent sur le plateau, instaurant une relation de connaissance et d’empathie avec le public. Leurs regards, si immobiles et intenses, annulent la distance entre la scène et les fauteuils de la salle.

C’est à François Chaignaud de signer la première partie de la soirée avec Blasons. Le titre fait référence au fait que les corps en scène, « ont l’habitude d’être regardés, scrutés, moqués ou héroïsés, d’une certaine manière d’être « blasonnés ». C’est ce qu’ils montrent avec une sincérité et une telle force qu’il est impossible de ne pas être touché.

Ils se présentent seuls ou en groupe, en s’exprimant avec des gestes de rébellion, de contestation ou bien de dégoût : ils signent en quelque sorte un manifeste pour condamner toute sorte de jugement contre les corps vulnérables et déficients.

: ph.Julio Silva Castro

: ph.Julio Silva Castro

Alors que cette première partie du spectacle reste ancrée dans une dimension réelle, la deuxième, confiée à Tânia Carvalho, nous plonge dans un univers totalement imaginaire. Il n’y a plus des différences entre « normalité » et « anormalité » : des poupées en guise d’automates, maquillées et habillées comme des clowns peuplent la scène. Leurs mouvements saccadés, « robotisés » suivent le rythme implacable d’un métronome. La voix de Tânia Carvalho sur la musique Lumi Potete Piangere de Giovanni Legranzi humanise le plateau. Une femme, se détache des autres interprètes : presque immobile, elle se dégagé par ses mouvements contractés, avec les doigts des mains crispés, mais elle n’extériorise pas la réalité de sa souffrance.

Les lumières sombres, intercalées par moments par des flux d’éclairages aux tonalités rouges et vertes, accentuent l’ambiance. La danse inclusive, promue par la compagnie Dançando com a Diferença l’est ici dans sa totalité : le corps, quel qu’il soit, normal ou handicapé, est unique dans son humanité face à la puissance de la danse et à l’envergure de sa sensibilité.

Théâtre des Abbesses, 13 Octobre 2022

Antonella Poli

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