No oco et Static Shot

Chorégraphie : Maud Le Pladec; Loïc Touzé

Distribution : CCN Ballet de Lorraine

No oco-ch. Loïc Touzé,

Le CCN Ballet de Lorraine a présenté du 19 au 23 Octobre dernier son premier programme de la saison 2022-23 composé par No oco de Loïc Touzé et Static Shot de Maud Le Pladec.

La compagnie, lauréate lors de la Remise des Prix du Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre, Musique et Danse de la saison 2021-2022 est apparue solide, en grande forme et douée d’une grande sensibilité artistique. Dommage et injustifié le fait que la Région Grand Est ait communiqué la semaine dernière une baisse de 10% de son budget. La Direction du CCN Ballet de Lorraine a réagi en envoyant une lettre de véhément désaccord à cette décision financière qui impacterait toute son activité. Nous espérons qu’à la suite de cette réaction, la Région Grand Est puisse répondre favorablement.

Retournons à la danse pour nous immerger dans l’atmosphère des deux pièces.

Contrairement aux habitudes, nous souhaitons commencer par la deuxième en programme, Static Shot de Maud Le Pladec. Dans les vingt-cinq minutes de la pièce, la chorégraphe s’inspire d’images cinématographiques ou des comédies musicales, notamment les références à Chorus line ou Sweet Charity de Bob Fosse sont bien évidentes. Les danseurs, avec leurs costumes qui tapent à l’œil nous font vivre un vrai show.

Qu’ils suivent une chorégraphie géométrique, bien alignés ou bien qu’ils apparaissent déjantés suivant les musiques technos de Pete Harden et Chloé Thévenin, leur danse est riche de puissance et d’énergie. Le public répond avec beaucoup d’applaudissements.

No oco de Loïc Touzé confirme comment, au-delà de tout aspect formel de la gestuelle, il existe dans la danse une dimension que nous pourrons définir insaisissable, difficilement compréhensible à nos yeux mais qui touche néanmoins nos sensibilités.

Le public est accueilli à rideau ouvert, tous les vingt-trois artistes chorégraphiques sont sur scène et échauffent leurs muscles mais pas seulement. En fait on pénètre déjà l’atmosphère de la pièce. Des mouvements lents sur place, différents pour chaque danseur, exécutés en douceur, créent déjà l’homogénéité de la qualité du mouvement qui persistera jusqu’à la fin. Ils chantent, unis, comme faisant partie d’un même flux d’énergie, avec des gestes presque imperceptibles et silencieux, les artistes chorégraphiques se regroupent autour d’une passerelle avançant de manière imperceptible.

On les suit par le regard : ils dessinent des formes, des gestes ondulatoires, créent des espaces ; leurs corps en chair et en os, à partir d’un bras ou d’une jambe, dialoguent avec l’invisible ouvrant l’imaginaire pour le spectateur.

Une musique aux rythmes jazz semble opérer un changement de registre : les danseurs la suivent avec précision tout en gardant le style minimaliste de leur gestuelle. Ils vivent la musique, leurs mêmes corps incarnent le rythme. Non par hasard ils sont divisés en deux groupes : un en premier plan et l’autre en deuxième comme pour représenter la mélodie et l’accompagnement sur une partition musicale. Le kaléidoscope des mouvements des danseurs ne créée pas une dysharmonie, au contraire, c’est magique et mystérieux.

Puis, poétiquement, différents tapis posés par terre, un fado se diffuse sur scène. Ses mélodies à la fois douces et mélancoliques contribuent à créer une syntonie majeure avec la chorégraphie, libre d’une structure définie et qui reste inventive grâce à ses gestes. Les corps se métamorphoses en lenteur, on reste envouté.

Dans notre époque si troublée et pleines d’incertitudes, No oco nous fait vivre presque une heure d’apaisement pour nous réconcilier avec le monde et lui retrouver un sens. D’ailleurs à ce propos, le philosophe Maurice Merleau-Ponty avait écrit dans sa Phénoménologie de la perception à propos des pouvoirs du corps : « Le corps est cet étrange objet qui utilise ses propres parties comme symbolique du monde et par lequel nous pouvons « fréquenter » ce monde … ». Cette pièce pourrait nous laisser sur cette ouverture et nous faire réfléchir.

Nancy, Opéra national de Lorraine, 23 Octobre 2022

Antonella Poli

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