L’histoire de Manon

Chorégraphie : Kenneth MacMillan

Distribution : Amandine Albisson, Guillaume Diop, les premiers danseurs et le Corps de Ballet de l'Opéra national de Paris

Amandine Albisson et Guillaume Diop-ph.Svetlana Loboff

Le Ballet de l’Opéra national de Paris pour clore sa saison 22/23 propose l’Histoire de Manon, sans doute un des plus riches ballets sur le plan de l’expression classique conjuguée à un sens du théâtre assez unique et à une grande finesse psychologique. 

Ce ballet de Kenneth MacMillan créé en 1974 est une œuvre inspirée du livre de l’Abbé Prévost, une histoire simple dont les rebondissements perdent de leur éclat au fur et à mesure que l’on avance dans la narration.

La construction dramatique progresse lentement et l’intensité n’est vraiment à son point culminant que dans le dernier pas de deux qui décrit la mort de Manon. C’est un ballet basé sur le rythme des changements de tableaux pour raconter linéairement l’histoire. L’Histoire de Manon est un exemple remarquable du style chorégraphique de MacMillan : pour la vivacité de ses émotions, pour l’intensité des sensations, pour la capacité d’évoquer une menace imminente et de mettre en scène la force des passions en utilisant le langage de la danse.

L’Histoire de Manon est donc la vision de l’histoire tragique du chevalier Des Grieux et de son héroïne, jeune fille implacable et attirée par les plaisirs de la vie.  La raison de son comportement, qui l’amène à trahir ses sentiments au profit de ses intérêts matériaux, tient à ses origines : une famille digne mais qui se retrouve dans la pauvreté. C’est ainsi qu’elle arrive à perdre toute moralité.

Dans la soirée du 8 juillet dernier, à l’Opéra Garnier, on attendait le couple principal de danseurs formé par les étoiles Amandine Albisson et le jeune Guillaume Diop, une première pour lui dans ce ballet qui requiert de la part de l’interprète, non seulement une haute maîtrise technique, mais des capacités interprétatives profondes. Dès le premier pas de deux, lyrique et passionnant, Manon (Amandine Albisson) et Des Grieux (Guillaume Diop) montrent toute leur passion, accompagnés par le thème musical principal du ballet : elle se laisse transporter avec finesse par l’attirance envers le jeune amant qui répond à son tour, notamment avec ses arabesques qui mettent en valeur les lignes classiques épurées du danseur.  

Le pas de deux est très riche de lifts qui créent un dialogue puissant entre les corps, évoquant la relation charnelle des deux jeunes. Le couple Albisson – Diop semble être en syntonie. La chorégraphie alterne déplacements fluides, pauses structurées par les regards et passages extrêmement rapides qui s’enchaînent sans briser la ligne musicale.

Le second pas de deux, qui se déroule dans la chambre parisienne de Des Grieux, nous fait entrer dans l’intimité des deux amants pour un pur moment de bonheur partagé. La précision à la base du langage de MacMillan est totalement imbriquée au sens musical des interprètes.

Mais c’est le frère de Manon, Lescault, interprété par Pablo Legasa, qui vient briser l’amour des deux jeunes. D’une part il essaie de réserver un meilleur destin à sa sœur, d’autre part il se révèle responsable de son destin tragique en l’obligeant à céder aux désirs de Monsieur GM en contrepartie d’une somme d’argent. Le danseur arrive à donner une très belle interprétation, puissante et capable de faire assumer à son personnage le rôle central qu’il joue dans l’histoire. Il s’agit d’une belle confirmation des qualités de ce danseur car elle montre son évolution et laisse espérer de le voir dans d’autres rôles de premier plan.

Le deuxième acte est le plus narratif des trois. C’est là que Manon apparait à côté de Monsieur GM, en tant que femme riche, habillée très somptueusement avec des bijoux précieux. La musique grave accompagne cette entrée où Amandine Albisson domine la scène avec sa personnalité et engage des attitudes séduisantes envers Monsieur GM. Elle ignore complétement Des Grieux, même si leurs regards se croisent en vain, malgré les promesses d’amour échangées pendant le premier acte. Manon, malicieuse et fragile, donne à Des Grieux un jeu de carte truqué qui lui permettra de gagner une partie contre Monsieur GM. C’est l’acte qui la condamne à mort et son frère, Lescault, est tué ; Manon est emprisonnée et traitée comme une prostituée.

Dans l’acte III, tant les tonalités du décor de Nicholas Georgiadis que l’harmonie formée avec les costumes nous plongent dans la moiteur nauséabonde du port de la Nouvelle-Orléans, dans l’attente du navire des forçats.

Le débarquement des prostituées sous le regard lubrique du geôlier imprime une tension au virage que prend le drame. L’épuisement de Manon, accrochée au bras de Des Grieux rempli d’espoir, est rendu avec grande crédibilité par Amandine Albisson, une nouvelle fois physiquement transformée à l’orée du chemin de croix qui l’attend : l’assaut du geôlier est chorégraphié avec une brutalité et un réalisme précurseurs des créations postérieures de MacMillan. Il ne fait qu’humilier Manon en essayant de la soumettre à ses désirs.

Le final est un sommet de désespoir. Manon, atteinte par la mort qui l’envahit, danse une dernière fois dans les bras de Des Grieux qui cherche en vain à la sauver et à la garder en vie. Cet ultime pas de deux est une merveille chorégraphique : l’élan qui pousse Manon à vouloir rester en vie s’oppose à la réalité de la mort qui l’attend. Dommage que l‘interprétation de Guillaume Diop soit restée un peu faible dans ce passage, peut être envahi par l’émotion intense transmise par Amandine Albisson.

Elle cherche désespéramment de s’accrocher à Des Grieux, comme pour oublier le passé et ressurgir : elle traverse la scène, se lance vers lui qui recueille son corps à l’extrême de ses forces. Elle s’allonge sur la scène pour son ultime soupir. Le rideau tombe sur l’image de Des Grieux désespéré au sol à côté du corps sans vie de sa Manon.

Paris, Opéra Garnier, 8 Juillet 2023

Antonella Poli

 

 

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