Opulences Tragiques
Autour de l’exposition Le Théâtre des Passions (1697-1759) : Cléopâtre, Médée, Iphigénie… présentée au Musée des Beaux Arts de Nantes, Claude Brumachon et Benjamin Lamarche conçoivent leur dernière création pour neuf danseurs, Opulences Tragiques.
L’exposition illustre les oeuvres de quatre peintres français : Antoine et Charles Antoine Coypel, Jean-François de Troy et Carle van Loo.
Ces artistes, en s’inspirant surtout des tragédies de Racine et Corneille, essaient d’exprimer dans leurs oeuvres le tableau des passions humaines et les états d’âme des sujets représentés. Il faut préciser qu’au XVIIe siècle, les passions sont un enjeu majeur aussi bien du point de vue philosophique que littéraire et artistique.
La peinture a toujours été considérée comme un art silencieux, moins apte à transmettre les émotions que son rival le théâtre par exemple. Animés d’un esprit de revanche, ces peintres entreprennent leurs recherches artistiques à dans l’espoir de gratifier la peinture de la même valeur expressive. Leurs études se fondent particulièrement sur les réflexions de Décartes, illustrées dans Les Passions de l’Ame (1644), et celles de Charles Le Brun, membre de l’Académie Royale de Louis XIV, qui soutenait dans sa Grammaire des passions (1668), l’idée selon laquelle il y aurait une correspondance entre le corps et les mouvements de l’âme. Ses dessins sur les expressions faciales sont d’ailleurs très célèbres.
Le scénario est donc bien clair, quoi de plus révélateur de cet esprit que le style et le langage chorégraphique de Brumachon et Lamarche, riches de scènes de désirs et de souffrances, de violence et de sensualité. Dans leur recherche de mouvements poétiques et énergiques, ils créent une danse tour à tour énergique et tourmentée, lyrique et passionnée, élevée et romantique.
Ces chorégraphes mettent en scène des duos, des trios ou des groupes en s’inspirant notamment des tragédies consacrées aux trois figures féminines (Médée, Iphigénie et Cléopâtre) personnages déambulant dans les salles austères et sacrées du musée.
Leurs quatorze tableaux chorégraphiques dansés en présence des peintures semblent intégrer ces oeuvres et s’y mêler de manière presque naturelle. La chorégraphie faite des scènes de chutes, de luttes, et d’embrassades est puissante et saisissante, les muscles des danseurs se tendent et se relâchent vigoureusement. Il y a là de la tension, de la force, et toute une panoplie de sentiments intenses tels que l’angoisse, la tristesse et la douleur.
Comme Le Brun, les chorégraphes ne délaissent pas les mimiques faciales qui ornent souvent les visages des danseurs. Ces derniers semblent porter des masques typiques des tragédies grecques. A titre d’exemple, le tableau d’ouverture avec une Médée magicienne, magistralement interprétée par Sabrina Vicari dont l’expression des yeux et les mouvements des bras nous envoûtent et nous séduisent, de même que les tableaux suivants représentant le trio sculptural Enée / Anchise / Iule ou la Tragédie Mathématique.
Il y a aussi des moments plus harmonieux comme ceux qui se déroulent sur fond des tableaux dédiés aux héroïnes bibliques Athalie et Esther et qui nous rappellent des danses médiévales.
Le final, sur les deux grands escaliers du musée, joué comme si on se trouvait en face d’un miroir est suggestif, le public paraît charmé. Avec ce spectacle l’exposition devient encore plus vivante, c’est sûr, le Théâtre des passions révèle ainsi son âme, et parvient à retrouver son essence.
Nantes, 22 Avril 2011