Aliénor

Chorégraphie : Alain Marty

Distribution : Agnès Letestu, Vincent Chaillet, Harold Crouzet

Agnès Letestu-ph.Patrick Fisher

Le théâtre à l’italienne du Gymnase Marie Bell paraît très approprié par son côté intimiste pour présenter la pièce Aliénor, petit bijou qui dévoile les facettes de l’amour courtois, mis en scène chorégraphique par Alain Marty, ancien danseur de l’Opéra de Paris avec Agnès Letestu, étoile de l’Opéra de Paris, Vincent Chaillet, premier danseur de l’Opéra de Paris et le comédien Harold Crouzet.

Le sentiment amoureux prend une teinte particulière à l’époque médiévale. Car la femme, passant de la tutelle du père à celle du mari, aurait cet espace de liberté, celui de consentir à une relation charnelle (hors mariage), se décidant – ou non – à céder à l’issue des tentatives courtoises mais assidues d’un prétendant.

Autrement dit, la façon de « jazer » qui « couche » la dame dénudée, nous est contée grâce à aux textes poétiques recités par le comédien Harold Crouzet, accompagnés de la musicalité d’une viole de gambe avec Albertin Venradour et la finesse de la danse d’Agnès Letestu et Vincent Chaillet.

Dans un climat de douceur vanté par un poème en langue d’oc est née sur ce sol d’Aquitaine « une souveraine d’amour, d’esprit et de culture ». C’est ainsi qu’est annoncée Aliénor : elle entre en scène dans un décor sobre qui accentue la pureté de sa gestuelle et la précision de ses attitudes, elle s’adonne avec fierté à l’exercice classique sur pointes, interrompu par l’arrivée de son mari Henri II.

Il s’avance, seul, et en impose en costume de chasse ; il exécute un brillant solo empreint de force aux postures viriles et tranchées, traquant le cerf jusqu’au hallali final, nous dit la voix du troubadour. Aliénor vêtue d’une longue robe blanche est de nouveau là, rejointe par Henri II qui paraît déterminé tandis « que les chiens ripaillent des entrailles de la bête », installant un tableau ambigu par la coexistence du meurtre et de l’amour ; mais Aliénor, que la mort répugne comme la guerre, reste « de pierre » face aux empressements du royal mari qui demeure insatisfait.

On comprend mieux la réticence d’Aliénor par l’entrée d’un jeune troubadour, une rose blanche à la main. La Dame l’accepte voluptueusement – pieds nus en robe aussi fine qu’un voile – jetant à terre une rose rouge, suggérant ainsi une intention retenue dans leurs ébats enamourés. Pourtant, le duo dansé plein de charme se poursuit ainsi que les audaces de l’amant qui dévêt Aliénor. Quasi-nus, ils se livrent, dans un déploiement gracieux et fluide, à un jeu subtil de dérobade et de consentement, de malice et de tendresse. La scène laisse un petit doute au public, partagé entre le rêve érotisé sublimant la relation charnelle ou son réel accomplissement, tout en étant entrainé du côté de la poésie qui parle « du désir de mourir pour mieux renaitre » dans la passion gaie et la fusion des corps.

Vient alors l’épisode du roi furieux, jaloux, sous les sons stridents de la viole de gambe. En proie au courroux, le roi et le troubadour se mesurent dans un pas-de-deux vigoureux, s’achevant par la défaite royale face à la fougue de la jeunesse qui… assène une leçon : « Sir, apprenez à vous abandonner »… car il n’est pas tant valable de posséder le corps d’Aliénor que de conquérir son âme.

La poésie, qui philosophe sur la finitude de la vie, est illustrée par le pas-de-deux du roi dans sa magnificence et de sa reine lumineuse dans des portés éblouissants, puis vient la beauté calme du couple assagi, assis côte à côte, effectuant quelques gestes en miroir.

Le drap du lit, tendu à l’avant-scène, devient un écran blanc entre la vie médiévale du XIIème siècle à la cour de France et le public, annonçant l’issue de cette histoire… qui nous est révélée. Allongés côte à côte sur le lit, le duo se fige dans une mortelle immobilité, devenant des gisants, …tels qu’on peut les voir de nos jours en visitant la remarquable abbaye de Fontevraud.

La pièce, à partir de poèmes en occitan, proposée avec une infinie légèreté et élégance mais sans rien ôter de sa violence, restituée joliment par le geste et par le mot, comble le public empli de plaisir et d’admiration.

Jusqu’au 25 Octobre, Théâtre d uGymnase Marie Bell, Paris

Antonella Poli

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